En guise de complément à l'excellent Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese, on ne trouvera pas mieux que The Settlers (Les colons) de Felipe Galvez Haberle, une oeuvre d'une importance capitale.
Ce film puissant et implacable se déroule au Chili en 1901. Un riche propriétaire terrien dépêche trois cavaliers afin d'étendre sa mainmise sur la Terre de feu, un territoire fertile et convoité. Pour y arriver, ils doivent « civiliser » la région par la force afin de déposséder les populations autochtones de leur terre.
Cette page d'histoire qui est occultée des manuels officiels donne froid dans le dos. Dès la première scène, barbare, les dirigeants n'affichent aucune valeur pour la vie humaine. Ce qui les intéresse, ce sont l'argent et le pouvoir.
Le récit débute comme une simple série B avec des personnages typés et des interprètes qui en font des tonnes. Un western spaghetti ou crépusculaire selon ses heures, mené par la vibrante bande sonore du compositeur français Harry Allouche.
Puis l'essai prend de l'ampleur et il devient de plus en plus austère et ambitieux. Les thèmes apparaissent, et celui de la colonisation s'accaparent la part du lion. Avec ses paysages sauvages et majestueux, le cinéphile a l'impression de se retrouver devant une version désertique du colossal Godland d'Hlynur Palmason.
Le scénario féroce, qui manque clairement de subtilité, ose nommer un chat un chat. Une nation prend forme dans les mensonges et le sang en massacrant sa population. La violence enflamme l'écran et elle n'est jamais épargnée aux spectateurs. Elle est accompagnée d'une relation entre dominants et dominés qui ne laissera personne indifférent.
Les trois quarts de l'ouvrage se déroulent à l'extérieur, entre action, contemplation et démonstration. Alors que la conclusion se tisse en huis clos dans les mots pour éclairer les maux, étant sans doute la plus forte du lot. C'est là que l'émotion coule à flot, jusqu'à ce générique orné de rouge qui nous met KO.
Felipe Galvez Haberle offre un premier long métrage d'une impressionnante maîtrise, judicieusement récompensé à Cannes et au Festival du nouveau cinéma. Son art est radical et sans concession, prenant son temps avant de devenir épique.
Le climat développé est unique et il surprend constamment, jusque dans son casting hétéroclite où l'on retrouve Mark Stanley (Game of Thrones), Sam Spruell (Taken 3) et Mariano Llinàs, mieux connu pour avoir réalisé le sublime La Flor, ce film fleuve de 13 h 34.
Le metteur en scène arrive même à convoquer l'esprit des quatre plus grands cinéastes chiliens. Il y a Patricio Guzman, évidemment, pour le propos politisé. Mais également Raoul Ruiz avec ses échappées poétiques sous fond d'équidés, Alejandro Jodorowsky en reprenant à son compte son esthétisme flamboyant, et Pablo Larrain en conservant sa destructrice énergie latente.
Opus sombre près du désespoir, Les colons n'est évidemment pas la sortie toute indiquée pour se changer les idées. Il s'agit pourtant d'un visionnement nécessaire, seulement pour se rappeler l'importance de savoir d'où l'on vient. Parce que cette histoire qui se déroule de l'autre côté de la planète est également la nôtre.