Il y a des films qui donnent le goût de tomber amoureux. Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait est de ceux-là.
On croyait qu'Emmanuel Mouret avait déjà tout dit sur la valse complexe des sentiments, ces doutes inhérents à l'espèce humaine qui confond désirs et amour à tout vent. Il faut croire que non. Son dixième long métrage porte à nouveau sur ces éternels questionnements et il s'agit aisément de son plus grand opus en carrière, un poil devant le brillant Un baiser s'il vous plaît, ce fidèle compagnon avec qui il partage plusieurs points en commun.
Déjà sa construction narrative est la plus ambitieuse, la plus élégante. D'abord décliné à deux personnages (une femme accueille le cousin de son amoureux), le récit ne tarde pas à multiplier les ellipses temporelles, à déborder d'histoires la grande histoire. Des tronçons d'existence qui se condensent et se répondent sans cesse, jouant d'habiles jeux de miroirs et de spirales. Jusqu'à des révélations tardives qui changent complètement le regard du spectateur.
À la fois léger et profond, ludique et grave, ironique et tendre, drôle et terriblement émouvant, le scénario explore avec une rare sensibilité l'ardeur et les doutes des êtres en place. Ceux-là même qui veulent tant en évitant justement de faire souffrir autrui, pesant constamment le poids des mensonges et de la vérité avant d'agir, rêvant d'exclusivité sans se sentir résignés. Rien n'est simple chez Mouret. Le coeur est élastique, le monde à la fois beau et cruel, alors que la mélancolie ne tarde pas à avoir le dernier mot.
Plus verbeuse que d'habitude (ce qui donne d'autant plus de puissance aux moments de silence), sa prose utilise d'ailleurs ces échanges presque constants afin de créer du suspense, d'alimenter en chair et en âme les différents personnages qui seront sans cesse confrontés à leurs paroles. Il n'est pas question ici de psychologie primaire et réductrice. Au contraire, ce sont plutôt dans leurs contradictions que les personnes peuvent se déployer en trois dimensions. Peu importe leurs comportements, ils s'avèrent humains, ce qui empêche de les juger. Cela n'enlève en rien la violence de leurs gestes, la souffrance qu'ils peuvent infliger. Elles s'affichent pourtant dans une retenue qui les honore, une intelligence émotionnelle où le mal et la morale deviennent une quête de bonheur, honorable et véritable.
Pour faire croire à cette symbiose de nirvana et de désarroi, il fallait d'excellents comédiens. La distribution réunie n'aurait pu être mieux choisie, mélangeant de délicieux contre-emplois (Niels Schneider, Vincent Macaigne) à une nouvelle venue prometteuse (Jenna Thiam). Deux noms sortent toutefois du lot. Celui de Camélia Jordana, qui trouve enfin le rôle lui permettant d'exprimer son grand talent (ce qui a été confirmé récemment dans l'hypnotisant La nuit venue). Puis l'expérimentée Émilie Dequenne, récompensée aux derniers Césars, qui est troublante de vérité en épouse délaissée, dont les actions romanesques en laisseront plusieurs pantois.
Ces figures prisonnières de leur destin semblent souvent perdues au sein de l'immensité des décors et des paysages, les plongeant dans une mer de solitude. Une photographie exceptionnelle qui vient constamment souligner l'éclat majestueux de ce qui les entoure, à la fois l'art et la nature. Fuyant plus que jamais les plans fixes, la mise en scène du cinéaste est ponctuée de longs plans-séquences révélateurs, où les déplacements harmonieux s'accompagnent généralement de vibrantes mélodies classiques.
Après son splendide Mademoiselle de Joncquières, le réalisateur continue d'évoluer avec grâce. Évidemment, son charme précieux et quelque peu désuet ne plaira pas à tous, alors que ce qu'il aborde est loin d'être inédit. Sauf que cette musique somptueuse opère mieux que jamais, touchant une forme inédite de maturité et de virtuosité. Avant, il était impossible de ne pas faire un rapprochement avec Rohmer, Marivaux, Allen, Lubitsch ou Montaigne. Maintenant, on parle seulement - et c'est déjà beaucoup - d'un film d'Emmanuel Mouret. Celui qui tâte le septième art pour tenter de comprendre, se rapprocher et réconforter ses semblables. Il y arrive en déployant une multitude de dialogues fins et pétillants d'une tendresse inouïe, du genre « le véritable amour ne s'intéresse qu'au bonheur de l'autre ». Difficile de ne pas sortir de la salle de cinéma la tête dans les nuages tout en ayant le coeur qui bat la chamade.