On désespérait de voir débarquer sur les écrans québécois Les chatouilles d'Andréa Bescond et Éric Métayer. Ce film présenté au Festival de Cannes en 2018 a pris l'affiche quelques mois plus tard en France. Plusieurs dates de sortie ont été annoncées puis annulées au Québec tout au long de 2019. Sans doute que le sujet - la pédophilie - n'est pas le plus vendeur. Et que le traitement singulier et hors norme pourra en déstabiliser plus d'un. Sauf qu'il s'agit d'une création forte et essentielle.
Basé sur la pièce de théâtre du même nom du duo Bescond/Métayer, qui était largement inspirée de l'histoire personnelle d'Andréa Bescond, le récit suit le besoin de reconstruction d'une danseuse (incarnée par Bescond) qui a été victime de sévices sexuels dans son enfance. Elle est hantée d'un secret trop lourd à porter, dont le poids finit par la conduire vers les abysses.
Comme le magistral Grâce à Dieu de François Ozon, on se retrouve devant un long métrage qui fait oeuvre utile en libérant la parole. À partir de séances chez la psychologue qui permettront la guérison, le scénario mord à belles dents dans les possibilités du septième art, faisant côtoyer passé et présent à l'aide d'un montage étonnant, brisant régulièrement le quatrième mur en intégrant des éléments de fantaisie, de thérapie et d'onirisme. On ne verra par exemple plus le célèbre danseur russe Rudolf Noureev de la même façon. Cela apporte un souffle d'évasion et de liberté à un sujet qui n'aurait pu qu'être lourd et mélodramatique. À ce sujet, un humour insoupçonné permet de reprendre son souffle entre une introduction qui donne froid dans le dos et une conclusion déchirante.
Non sans longueur et doté d'un symbolisme parfois appuyé, l'ouvrage est surtout l'occasion de voir d'excellents comédiens briller. Andréa Bescond fend l'âme en héroïne au bord de la crise de nerfs, s'exprimant autant que se tait son pendant enfant Cyrille Mairesse. Si Clovis Cornillac fait belle figure en père médusé, ce sont les « méchants » qui retiennent l'attention. Pierre Deladonchamps, vu notamment dans Le fils de Jean et Plaire, aimer et courir vite, qui s'avère tout simplement visqueux en pédophile au visage angélique. Puis Karin Viard, impériale en mère de la victime qui remet constamment en doute la parole de sa fille. Une prestation glaciale qui lui a valu le César de la meilleure actrice de soutien.
Né dans la noirceur, Les chatouilles arrive à la transcender pour se lover dans la lumière. Une quête de rédemption qui passe tour à tour par la douleur et la douceur, la rage et l'émotion. En plus des traditionnelles vertus thérapeutiques, les cinéastes y incorporent un souffle cinématographique qui fait toute la différence, lui permettant de se distancier des autres productions du même calibre. Le cinéphile sortira de la projection le coeur à l'envers, avec heureusement un peu d'espoir pour des lendemains plus cléments.