Avec son nouveau long métrage, Pascal Plante (Les faux tatouages, Nadia, butterfly) propose quelque chose qu'on ne voit que trop peu souvent dans le paysage du cinéma québécois : un suspense psychologique oppressant, intelligent, stylisé mais pas criard, où la tension est à couper au couteau du début à la fin.
Un long métrage qui regorge de moments haletants, malaisants, mais aussi de séquences laissant une très forte impression une fois le visionnement terminé.
Les chambres rouges tourne autour du procès excessivement médiatisé d'un homme accusé d'avoir sauvagement agressé, torturé et démembré trois adolescentes à des fins de spectacle sur le dark web. Kelly-Anne (Juliette Gariépy) et Clémentine (Laurie Babin) vont jusqu'à coucher dehors pour assurer leur place à l'intérieur de la salle d'audience du palais de justice.
Si Clémentine a quitté Thetford Mines dans le but d'apporter son soutien à l'accusé, qu'elle croit innocent et victime d'un coup monté, les motifs et les intentions de Kelly-Anne, une mannequin particulièrement habile avec les chiffres et la technologie, demeurent beaucoup plus nébuleux.
« Mais où t'en vas-tu avec ça, mon cher Pascal? » est définitivement la question avec laquelle le principal intéressé capte d'abord, puis maintient l'attention du spectateur jusqu'aux tout derniers instants du film. L'opacité dans laquelle Plante plonge à la fois son récit et la psychologie de sa protagoniste ne devient d'autant plus jamais un obstacle, bien au contraire.
Cette stratégie peut néanmoins s'avérer à double tranchant au moment de la résolution de l'intrigue, qui doit évidemment être à la hauteur de tout ce qui a été si habilement mis en place précédemment.
Dès la formidable première séquence au palais de justice, le réalisateur démontre toute la force et la rigueur de sa mise en scène de par ses longs plans parfaitement orchestrés, ses coupes subtiles, ses zooms et ses mouvements calmes dirigeant toujours le regard du spectateur vers un détail précis.
Pascal Plante ne prêche pas ici par excès de style, mais se démarque par le haut niveau d'attention et de précision avec lequel il exécute chacune de ses décisions.
Il en va de même pour la retenue dont il fait preuve pour déstabiliser son public, préférant le laisser imaginer le pire plutôt que de lui servir un lot d'images sordides.
Mais au-delà de cette maîtrise formelle, Plante signe également certaines des scènes les plus angoissantes et troublantes que le cinéma québécois nous ait offertes depuis belle lurette.
La bande originale de Dominique Plante, tantôt nuancée et inquiétante, tantôt extrêmement expressive et bruyante, soutient merveilleusement le tourbillon d'émotions étourdissant le personnage principal, interprété avec tout autant d'aplomb par Juliette Gariépy.
Perdant de plus en plus ses repères, l'obsession maladive de Kelly-Anne durant le dernier acte en vient à brouiller encore plus les pistes quant au sens de ses actions. Le résultat nécessite, d'ailleurs, que nous prenions un pas de recul après coup pour pouvoir avoir une réelle vue d'ensemble sur le casse-tête achevé, plutôt que sur une série de pièces remises en place.
Les comparaisons avec le cinéma de David Fincher sont également plus que justifiées, Kelly-Anne s'imposant comme une version un peu moins troublée, mais tout aussi débrouillarde de la Lisbeth Salander qu'interprétait Rooney Mara dans le sous-estimé The Girl with the Dragon Tattoo.
Le seul aspect où Les chambres rouges manque toutefois de finition, c'est dans sa représentation des médias, dont le manque de naturel et le ton parfois caricatural finissent par nous faire décrocher momentanément de ce qui demeure autrement une intrigue construite et menée de main de maître.
Pour toutes ces raisons, de même que pour la pertinence de son propos sur l'état du système judiciaire et les débordements collatéraux engendrés par les réseaux sociaux, Les chambres rouges constitue une proposition percutante et audacieuse, confirmant Pascal Plante comme l'un des cinéastes québécois les plus doués de sa génération.