Après le succès imprévu de J'ai tué ma mère, Xavier Dolan change de ton mais pas de sensibilité pour son deuxième film. Avec un sujet moins personnel (nous verrons cela) - mais pas moins inspiré - Les amours imaginaires nous permet de voir de quoi est capable Xavier Dolan le réalisateur, celui qui fait du cinéma, plutôt que Xavier Dolan l'artiste. Cela ne rend pas sa démarche moins artistique, cela la rend plus propre au cinéma, plus dédiée au médium. Plus exploratrice, aussi. Ce qui, évidemment, donne lieu à autant de moments de grâce que de moments gaspillés.
Francis et Marie, deux amis de longue date, font la rencontre de Nicolas, un magnifique jeune homme qui les séduit immédiatement. Inconscient de son charme, Nicolas ne sait pas qu'il a séduit les deux amis, qui se disputent son coeur. La relation amicale entre Francis et Marie est grandement affectée par cet amour divisé, et une jalousie malsaine s'installe entre eux. Leurs espoirs naissent des signaux ambigus envoyés par l'objet de leur désir, et cette passion devient envahissante. Quelques jours à la campagne vont tout changer entre Francis, Marie et Nicolas.
Le film est conçu comme une suite de scènes liées entre elles de manière théorique (c'est-à-dire que l'enchaînement narratif que fait, par réflexe, le spectateur n'est pas nécessaire à leur efficacité) qui explorent les codes chromatiques, l'utilisation de la musique, les costumes, les effets visuels. On sent l'exploration, la recherche, la curiosité. Et on examine les résultats avec sa sensibilité personnelle. Autant de scènes, parfois inégales, où tous les éléments s'unissent pour créer - à partir de rien, au fond, que des choses sans véritable lien entre elles (ce qui nous amène à nous interroger sur le fameux débat de la « forme sur le fond » - que Dolan n'évite pas entièrement - dans cette production) - des émotions. Il s'agit de les saisir; autrement dit, il s'agit qu'elles correspondent à la sensibilité du spectateur qui s'y soumet.
Au centre de la démarche : le ralenti. Figure de style du cinéma, il exerce un double-effet : il souligne et dilate, sans faire de distinction sur la qualité. Quand la scène est belle, elle devient magnifique, prenante, déstabilisante. De la même manière : quand elle est ratée, elle devient longue, répétitive, trop accentuée. On retrouve les deux cas de figure dans Les amours imaginaires. La subtilité du jeu des comédiens est cependant magnifiée par ces ralentis, qui rendent justice à leur talent et leur beauté. La musique est aussi extrêmement puissante pour ajouter à (plutôt que de remplacer) la force émotive des situations.
Le talent de Dolan pour les dialogues est confirmé par ce deuxième film. Ils sont à la fois soutenus et plausibles dans la bouche de ces personnages, et leur naturel n'est jamais remis en doute par ce qu'ils ont à dire, bien au contraire. Certains moments flottent dans un mélange de longueurs et d'exercice de style trop probant. Ces « confessions sur l'oreiller » en sont le meilleur exemple : si certaines ajoutent de la dimension aux personnages, d'autres illustrent maladroitement certains de leurs traits de caractère.
C'était une idée magnifique que de parler des amours « imaginaires », parce que tout le monde en a. Parce qu'à travers la sensibilité de Xavier Dolan, on sait que le traitement sera sérieux, et qu'il sera personnel même s'il n'est pas biographique. Un projet personnel qu'on peut concevoir comme le cinéma de Christophe Honoré (même Louis Garrel est là), comme d'un film d'amour, sur l'amour. Les détails ne sont que des déclinaisons de l'amour. Cela peut sembler anodin, futile, mais avec son premier film, sa vision cinématographique, son importance médiatique et son toupet (au sens propre, et figuré), Xavier Dolan s'est assuré qu'à l'avenir, on l'écouterait.