Quentin Tarantino est possiblement le réalisateur le plus puissant du cinéma actuel. Peu importe que ses films fassent de l'argent ou qu'ils remportent des prix, il peut tout se permettre et ses admirateurs le suivront dans le moindre de ses délires.
Le cinéaste monte la barre encore plus haute avec son huitième long métrage The Hateful Eight. On connaissait sa propension à s'inspirer de tout ce qui l'a précédé (on pense dans ce cas-ci aux classiques de John Ford et aux vieilles séries comme Gunsmoke) et voilà qu'il se surpasse à nouveau. Pas en renouant avec le western qu'il affectionne tant depuis le deuxième volume de Kill Bill et Django Unchained, mais en exigeant de tourner en 70 mm et en utilisant un format d'image extrêmement rare (le 2.75.1 comme l'était Ben-Hur). Cette version qui n'est pas présentée dans toutes les salles de cinéma lui offre la latitude d'insérer la mythique entracte propre aux grands opus, d'utiliser encore davantage la magnifique trame sonore du maître Ennio Morricone et de pousser le compteur au-delà des trois heures. Une confiance rafraîchissante envers son art en cette période où le numérique et les effets spéciaux sont rois.
Il le fait évidemment en respectant son propre style, ponctué de sanglants actes de violence et d'écarts de langage. Les mots se retrouvent une nouvelle fois au coeur de l'échiquier et ils sont tour à tour triomphants, dérangeants et hilarants. Il y a davantage de dialogues que d'habitude (oui, c'est possible) et la construction de l'histoire évoque celle de son Reservoir Dogs. Un huis clos où tout le monde se ment et se manipule et qui laisse la place aux personnages pour briller. Tous sans exception ont leur heure de gloire et s'amusent comme des petits fous (Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Bruce Dern, Michael Madsen, Tim Roth qui joue de la même manière que Christoph Waltz, etc.). Walton Goggins en shérif douteux arrive pourtant à s'imposer au sein de ces grands noms et c'est le visage ensanglanté de Jennifer Jason Leigh qui marquera le cinéphile pendant longtemps.
Avec un tel titre, The Hateful Eight ne peut que payer hommage aux Sept samouraïs d'Akira Kurosawa, quoique la brillante mise en scène en chapitres évoque davantage celle de Rashômon. Si l'on sent une certaine recette dans la marque de commerce de son auteur (celle qui inclut des fous rires involontaires et des monologues cultes, mais aussi un désir un peu vain de toujours vouloir surprendre et un léger flottement qui aurait été moins apparent avec un montage resserré), le scénario beaucoup plus solide que d'habitude impressionne par sa contemporanéité. L'action se situe peut-être quelques années après la guerre de Sécession, son discours sur les femmes, le racisme et le pouvoir qui corrompt est trop souvent d'une douloureuse modernité.
Dans beaucoup de mains, cette rencontre imprévue entre huit étrangers aurait donné une oeuvre quelconque. Quentin Tarantino fait de The Hateful Eight une fresque intense, drôle, passionnante, éreintante et extrêmement divertissante, qui prend des risques constants avec son art. Du vrai cinéma que l'on se plaira à voir plus d'une fois.