C'est toujours un plaisir de retrouver Robert Morin. D'abord parce qu'on le voit rarement arriver; ses projets se concrétisent presque sans faire de bruit, on n'en sait à peu près rien avant de les voir - sinon que ce sera inédit et original. Grand vidéaste et cinéaste québécois, il est à chaque fois pertinent, qu'il soit dénonciateur ou drôle, ou les deux à la fois. C'est donc avec beaucoup d'attentes qu'on a vu ce 4 soldats, essai cinématographique singulier dans une filmographie qui est déjà inclassable.
Reprenant les grandes lignes d'un roman d'Hubert Mingarelli, Les 4 soldats raconte l'histoire quasi-féérique d'une guerre civile québécoise entre les riches et les pauvres, organisés en milices. Après avoir établi cet univers, Morin a tôt fait de réduire le drame à un petit groupe d'individus d'horizons différents, qui forment une famille éclectique qui nous sera bientôt chère. Les acteurs, attachants et impressionnants par leur retenue, convainquent, mais pas immédiatement. Il faut un peu de temps pour passer outre quelques lourdeurs dans la formulation et le rythme des dialogues qui sont parfois étrangement littéraires. Mais cette étrangeté reprend bientôt ses droits, et c'est le banal qui n'a plus droit de cité...
Dans le rôle d'un homme-enfant enthousiasmant, Antoine Bertrand démontre encore une fois l'étendue de son talent, tandis que Christian de la Cortina et Camille Mongeau forment un couple tacite au jeu parfois figé, mais tout de même crédible. Aliocha Schneider est peu sollicité, tandis qu'Antoine L'Écuyer défend avec conviction un adolescent qui viendra bouleverser le petit monde de cette étrange famille. Symboliquement fort, le groupe fonctionne mieux au pluriel qu'au singulier.
Formellement, Morin parvient à émouvoir avec des scènes techniquement plus ambitieuses qu'à son habitude (quoique cela ne signifie pas plus compliquées), mais fortement signifiantes, qui utilisent à plein le sous-texte pour dire, suggérer, expliquer. Autrement, l'information et les réflexions passent par une narratrice qui regarde aussi la caméra, dans un autre geste fort et/ou déstabilisant. Cette adresse à la caméra ajoute intensité et mystère au récit, en plus de démontrer quelques prouesses techniques qui sont rares chez Morin.
On regrette malheureusement que la finale soit mièvre, si indécise, alors que le contexte se prêtait à un coup d'éclat qui aurait pu souligner soit la cruauté, l'ironie ou la bêtise d'une telle situation (une guerre civile, quelle honte), ou alors la puissance poétique de ce récit délicat qui n'a d'autre choix que de se terminer tragiquement. Les 4 soldats laisse donc une impression d'inachevé qui est regrettable, au sens où une finale plus affirmée aurait pu faire basculer le long métrage du côté des « petits grands films ».