Je crois que ce ne serait pas exagéré d'affirmer à ce moment-ci que Nightcrawler de Dan Gilroy est l'un des meilleurs films de l'année 2014 et que Jake Gyllenhaal aura droit à sa nomination aux Oscars dans la catégorie meilleur acteur pour cette performance époustouflante qui nous donne froid dans le dos. Le personnage principal de ce film est définitivement sa plus grande qualité, et ce qui fait de la production une oeuvre exceptionnelle. Psychopathe, antisocial, téméraire, irrévérencieux, Lou Bloom n'est pas attachant comme la plupart des héros de film, mais il est suffisamment intrigant et désaxé pour contenir l'attention du spectateur pendant deux heures, et le transporter là où peu d'oeuvres filmiques l'amènent généralement.
Même si Jake Gyllenhaal est de presque tous les plans, les acteurs secondaires sont également responsables de l'efficacité du film. Rene Russo, entre raison et démence, livre une performance troublante et touchante. Même chose pour Riz Ahmed, qui interprète l'associé naïf et malléable du protagoniste.
Le film renferme une intensité inhérente, du début à la fin. Dès les prémisses, on comprend la folie qui habite Lou et cette dernière ne fait que s'amplifier au fil des minutes et des heures. Elle atteint son paroxysme à quelques scènes de la finale, qui aurait pu - il faut l'avouer - être plus poignante et troublante que celle choisie ici. Sa conclusion prosaïque représente peut-être le seul défaut évident du long métrage, qui nous tient en haleine et n'hésite pas à ébranler nos valeurs et nos croyances fondamentales à chaque détour.
Dan Gilroy (qui a rédigé les textes du film) s'est acquitté de la réalisation avec grand panache. Tout en laissant le plus d'espace possible à son formidable personnage, Gilroy a imposé un style à son image qui concorde parfaitement avec le fanatisme de son protagoniste et l'atmosphère glauque de l'histoire. Il s'est permis quelques séquences de caméra à l'épaule, qui conviennent, elles aussi, pleinement avec l'occupation du protagoniste; celui de cameraman pour les nouvelles de dernière heure. Le film porte d'ailleurs un regard à la fois sévère et réaliste sur la couverture des faits divers à la télévision. Comme de nos jours tout le monde peut s'improviser reporter et filmer les scènes d'un accident, le cadre dans lequel se situe l'action manque peut-être d'un peu de modernité, mais dès qu'on entre dans l'action et qu'on oublie certaines de ses balises désuètes, on est immédiatement absorbé dans un monde qui frôle l'hallucination collective.
Le long métrage emprunte certains procédés de la comédie noire pour faire passer son message. À un moment, le personnage principal est tellement déséquilibré que le rire devient une forme de moyen de défense pour le spectateur déconcerté. Le film contient une névrose qu'il est incapable de réprimer. Instinctivement, on cherche un sens commun, mais on en vient à comprendre qu'il est préférable de s'abandonner à sa paranoïa plutôt que d'aspirer à une certaine logique.