Il faut chercher très loin pour trouver un film québécois aussi original et déroutant que Le rire. Juste pour cela, ce long métrage ambitieux et imparfait de Martin Laroche mérite le détour.
Il y a de la lumière au bout du tunnel. Surtout lorsqu'il est question de palper la rédemption afin d'échapper aux traumas du passé. Ce sujet maintes fois abordé au cinéma peut atteindre des sommets, comme ce fut le cas avec La neuvaine de Bernard Émond. Sauf qu'il est généralement développé dans un cadre réaliste et terre-à-terre.
Un style qu'a toujours affectionné Martin Laroche sur ses renversants Tadoussac et Les manèges humains. Même s'il renoue avec son thème fétiche - la résilience d'une survivante rattrapée par ses blessures d'antan - en présentant un nouveau portrait de femmes fortes, le cinéaste se met complètement en danger en essayant autre chose. Une proposition radicale à prendre ou à laisser.
La superbe introduction met rapidement la puce à l'oreille. En quelques minutes seulement, le cinéphile est happé par des pleurs intenses et une danse incroyable issue d'une comédie musicale, avant d'être plongé dans les horreurs de la guerre. C'est là que notre héroïne (Léane Labrèche-Dor) perdra son amoureux et qu'elle tentera de se reconstruire par le rire.
En constantes ruptures de tons, le récit passe du profond au léger en moins de deux, palpant l'angoisse à l'aide de cauchemars, de visions et d'hallucinations. Des contrastes qui peuvent rendre inconfortables. Le film ressemble à la vie dans ce qu'elle a de plus déroutante, de plus absurde. Pour le meilleur comme pour le pire.
Une fois passé les émotions fortes du début, le scénario se met en mode existentiel, philosophique et même poétique, notamment en développant une agréable amitié intergénérationnelle avec une vieille sage campée avec délectation par Micheline Lanctôt. Bien que le message ne soit pas toujours subtil, son efficacité ne manque pas de convaincre. Tout comme la confession tardive d'un ancien soldat, que livre le déchirant Normand Daoust.
Dommage que le long métrage ait tendance à trop en faire, surtout dans sa façon d'intégrer des éléments liés au surréalisme et à la psychanalyse. Il y a une distinction entre teinter d'onirisme une démarche et la rendre sibylline. Trop souvent, on cherche à obscurcir le regard et le propos en rajoutant des éléments mystérieux et des personnages énigmatiques. L'ensemble au symbolisme appuyé ne manque pas de clins d'oeil - l'ombre de David Lynch est partout - et il finit par en pâtir en allant trop souvent de l'autre côté du miroir.
Malgré ses hauts et ses bas dignes des montagnes russes quotidiennes, une seule certitude demeure : Léane Labrèche-Dor est une immense actrice et elle n'a aucune difficulté à porter l'essai sur ses épaules. Le spectateur qui ne l'a jamais vue au théâtre sera surpris de la trouver dans un rôle dramatique, alors que les autres savent déjà qu'elle excelle en la matière. Rarement utilisée au cinéma (on se rappelle toutefois d'elle dans l'intrigant Oscillations), la comédienne véhicule des émotions complexes, touchant l'apothéose lors d'une scène tardive où elle utilise la scène et son métier d'humoriste afin d'apporter une humanité inédite, belle et bouleversante à la fois.
C'est sa performance qui demeure le coeur du Rire et qui resplendit même lorsque le récit traîne en longueur et que le dosage de genres ne porte pas toujours ses fruits. Aussi fascinante qu'irritante, brillante que lassante, il s'agit d'une oeuvre qui n'a que peu d'équivalent dans notre cinématographie. Il n'y a certainement rien de mieux pour sortir de sa zone de confort.