S'il est de plus en plus évident qu'on ne permettra pas à Denys Arcand de même penser égaler en qualité ses grands films du passé - peut-être à cause de l'omniprésence intransigeante de la nostalgie dans notre société, qui présuppose que l'ancien est meilleur que le nouveau, jusqu'à preuve du contraire -, il est aussi très clair que l'auteur ne mène plus le même combat. Son plus récent film, Le règne de la beauté, quoique très certainement mineur dans une filmographie aussi riche, n'en demeure pas moins pertinent et cohérent. Comme avec L'âge des ténèbres il y a sept ans, il est complètement stérile de dire qu'il n'est « pas aussi bon » que Le déclin ou Les invasions barbares.
Certes, que Denys Arcand pose sa plume et sa caméra sur une génération de jeunes professionnels profitant d'une vie bourgeoise dans Charlevoix dilue un peu le propos, car il en est peut-être moins près. Les sujets se multiplient. Est-il question ici de l'indécence de leur confort? De leurs infidélités? De la beauté du paysage, des maisons? Le règne de la beauté est bien davantage une histoire d'amour et d'amitié qu'un discours générationnel et social. Vrai, Arcand est plus efficace quand il saute à pieds joints dans l'observation sociétale, mais il ne s'agit tout simplement pas de ce type de film.
Ce qu'il ne faut pas manquer de ce film pour l'apprécier en fait, c'est son humour, pourtant omniprésent. La vie que mènent ces personnages tient du fantasme, entre les belles femmes, les innombrables sports qu'ils pratiquent (au ralenti), la villégiature, le vin, les discussions autour de la table. De les voir se justifier en évoquant leur besoin d'argent, faire pousser du pot dans leur jardin, manger un sandwich sec au pied de la Tour Eiffel ou se cacher dans les rues de Québec pour s'embrasser évoque le même humour à mi-chemin entre le mépris et l'amour inconditionnel du réalisateur envers ses personnages qui existait déjà dans ses films précédents.
Éric Bruneau, un acteur qu'on découvre encore sous de nouvelles facettes, s'avère très efficace dans le rôle central, celui d'un architecte charismatique qui vit une histoire d'amour éphémère avec une Torontoise (très correcte Melanie Merkosky) pendant que sa femme vit une sévère dépression. Mélanie Thierry joue convenablement ce personnage extrêmement risqué, tandis que Marie-Josée Croze doit se contenter d'un rôle de soutien. Malheureusement, d'autres, comme Michel Forget et Mathieu Quesnel, manquent de naturel dans cet univers où ils n'ont que quelques courtes scènes pour se faire valoir.
Le cas du Règne de la beauté est délicat car si le noyau de l'histoire est solide et intéressant (comme on était en droit de l'espérer), certaines parties s'avèrent effectivement plutôt insignifiantes et même redondantes. Il ne faudrait tout de même pas reprocher au film ce qu'il n'est pas, à savoir la suite de l'un ou l'autre des grands classiques de Denys Arcand. Ce n'est pas non plus (mais pas pour cette raison) un grand film. Si c'était le premier film de quelqu'un, ce serait enthousiasmant.