Robert Morin est l'un de nos plus grands cinéastes. Qu'il s'attaque à des projets expérimentaux (Yes Sir! Madame..., Quiconque meurt, meurt à douleur) ou plus accessibles (Requiem pour un beau sans-coeur, Le Nèg'), les résultats ne manquent pas de marquer le septième art québécois. La présente décennie n'est toutefois pas la plus inspirante pour lui et après son très inégal Un paradis pour tous, voilà qu'il reprend du poil de la bête avec Le problème d'infiltration.
Ce qui saute aux yeux dans ce nouveau long métrage est la virtuosité de sa réalisation. Le film est constitué d'une demi-douzaine de plans-séquences qui sont reliés entre eux par d'ingénieux faux raccords. Eh oui, comme dans Birdman. Cet exercice de haute voltige où la luminosité, les lieux et les effets spéciaux semblent évoluer directement à l'écran - l'effet King Dave - sert à emprisonner le héros dans le temps. Il est aspiré par un étourdissant vortex de bruits où l'air vient à manquer pour le cinéphile. Un brillant et oppressant travail de mise en scène qui ne tarde cependant pas à verser dans l'esbroufe.
La technique est pourtant en parfaite concordance avec son sujet. L'existence idéale d'un chirurgien (Christian Bégin) vole en éclat au cours d'une journée particulièrement chargée en émotions fortes. Cette perte de repères au niveau personnel et professionnel lève le voile sur des malaises qui gangrènent de plus en plus l'individu et le monde dans lequel il vit. Cela amène des scènes ambiguës, révélatrices (la pièce hip-hop) et parfois plus corrosives, alors que le réel se bute aisément aux rêves et aux fantasmes. Dommage que la démonstration ne demeure pas plus nuancée. Les sujets sont trop souvent abordés de façon lourde et frontale, à l'effigie de cette fissure littérale et métaphorique qui donne le titre au récit.
Dans son premier rôle principal au cinéma (enfin!), Christian Bégin offre une superbe prestation. L'acteur investit cet être pas toujours rassurant de sa présence charismatique, apportant un parler caractéristique à ces dialogues souvent humoristiques qui sont plongés dans le vitriol. Il se permet même un clin d'oeil méta à sa populaire émission de télévision Curieux Bégin. Si seulement l'habile exercice de style ne prenait pas toute la place. Afin de soutenir ces longs plans de huit ou neuf minutes, cela implique de nombreuses chorégraphies qui finissent par chasser le naturel, enlevant du coup une crédibilité à la plupart des individus qui apparaissent à l'écran.
C'est d'autant plus dommage parce que le personnage principal est une fascinante figure allégorique qui rappelle les vieux monstres de l'expressionnisme allemand ou encore celui dans Shining. Une entité aussi narcissique que son époque qui se cache derrière son statut social, son hypocrisie et son semblant de belles valeurs. Ce type d'antihéros est toutefois la norme chez Morin qui passe son temps à présenter des protagonistes attachants qui finissent par trahir la confiance du spectateur. Il l'a fait brillamment sur Papa à la chasse aux lagopèdes et Journal d'un coopérant. Une formule qui finit par s'avérer un peu prévisible.
À 68 ans, Robert Morin n'a plus rien à prouver à personne et il peut tout se permettre. Dans Le problème d'infiltration, le réalisateur privilégie un fabuleux travail de mise en scène qui finit par peser à la fois sur son scénario pas toujours subtil et sur les épaules de l'excellent Christian Bégin. Malgré le brio en place, on a bien hâte de le voir revenir à un cinéma plus personnel comme Petit Pow! Pow! Noël.