The Power of the Dog risque d'apparaître dans plusieurs palmarès de fin d'année. Mais pourquoi la bête séduit-elle autant?
Sûrement parce qu'elle représente le nouveau long métrage de la vénérée Jane Campion et son premier depuis Bright Star en 2009. Il s'agit surtout de son meilleur film depuis son légendaire The Piano qui lui a permis de mettre la main sur la prestigieuse Palme d'Or. La cinéaste qui vient d'être récompensée à Venise pour la qualité de sa réalisation possède un don pour filmer le désir brutal qui se dérobe, la sensualité et la passion interdite. Elle rivalise pratiquement avec son propre In the Cut en multipliant les métaphores sexuelles, élevant la température jusqu'à littéralement faire bouillir le cinéphile.
Cela tombe bien que la forme rugueuse et lyrique épouse celle du western, déjà chaude, torride et luisante. Ses images immenses, incommensurables de beauté, laissent béat. Il y a bien des emprunts aux maîtres du genre (et à John Ford en particulier), mais surtout une envie d'élever ce qui figure à l'écran, à créer des mythes. Remarquée grâce à Lady Macbeth, True History of the Kelly Gang et Zola, la directrice de la photographie Ari Wegner entre dans la cours des grandes, créant quelques-unes des visions les plus inoubliables de l'année.
Sauf que tant de splendeur a un prix. Notamment lorsqu'elle est mélangée aux mélodies vibrantes et inquiétantes de Jonny Greenwood (qui affichait déjà une forme resplendissante sur Spencer). L'amalgame ne peut que rappeler le travail de Paul Thomas Anderson sur There Will Be Blood et The Master. Et comme ces deux opus, The Power of the Dog tente de parler des maux de l'Amérique en étant une grande fresque qui marquera son époque... ce qui ne sera probablement pas le cas.
Au contraire, c'est dans les petites choses, débarrassé de sa prétention et de son maniérisme, que l'effort fonctionne le mieux. Dans cette façon, par exemple, de traiter de la fêlure des hommes, de leur masculinité toxique et de leur incapacité à s'adapter aux nouvelles réalités de la société. Un sujet riche de sens, né du livre éponyme de Thomas Savage, que le scénario de Campion ne rend pas toujours justice.
C'est le cas de la première partie qui présente deux frères aux caractères diamétralement opposés. Entre la cruelle brute (Benedict Cumberbatch) qui se croit tout permis et le gentil nounours sensible (Jesse Plemons) qui aide aux tâches domestiques, il n'y a pas de demi-mesure. Ce constat simpliste et manichéen tend heureusement à s'enrichir et à se complexifier alors qu'un jeune fils sans père (Kodi Smit-McPhee) prend de plus en plus d'importance dans l'histoire.
C'est cependant au détriment du seul personnage féminin digne de ce nom. Cet être fascinant représente toutes les femmes qui se font maltraiter ou mettre dans une cage dorée par leur mari. Une déchéance qui survient à mi-chemin du récit et qui est complètement abandonnée par la suite. Dommage parce que Kirsten Dunst livre une prestation particulièrement touchante et sentie, elle qui n'est jamais aussi bonne qu'en souffrant à l'écran (il s'agit d'ailleurs de sa meilleure performance depuis Melancholia).
C'est pourtant le mystérieux Benedict Cumberbatch qui marque les esprits. L'acteur trouve son plus grand rôle en carrière, modulant parfaitement ses colères et ses moments de tendresse, se dérobant constamment en cachant sa nature profonde. Il fait déjà figure de favori dans la prochaine course aux Oscars. Ce cowboy d'une autre époque ne manque pas de couches et d'ambiguïté, affichant à la fois la figure virile de John Wayne et celle plus timorée d'un protagoniste de Brokeback Mountain.
Porté par le producteur québécois Roger Frappier (à la base de grands classiques d'ici comme Le déclin de l'empire américain) qui a cru en ce projet avant tout le monde, The Power of the Dog est un film visuellement somptueux qui devra, à l'instar de Passing et Roma avant lui, absolument être découvert dans une salle de cinéma afin d'apprécier toutes ses nuances et ses subtilités. Parce que ce n'est pas le petit écran que lui réserve ensuite Netflix qui lui rendra honneur.