C'est sans doute un signe de maturité que le cinéma québécois se consacre maintenant au cinéma de genre. Aux habituels genres comique et dramatique, on juxtapose maintenant la science-fiction, l'horreur, le fantastique... Cela fait partie d'une cinématographie nationale en santé, ça ne peut être que positif pour les comédiens et les artisans du cinéma, et cela risque (bientôt, mais pas aujourd'hui) de rejoindre les goûts du public, qui apprécie habituellement cette diversité dans l'offre cinématographique. C'est encore inhabituel, cependant, et il est fort peu probable que Le poil de la bête soit le film de genre qui fasse progresser les choses positivement.
Le criminel Joseph Côté s'évade de la prison de Québec alors qu'il est sur le point d'être pendu. Dans sa cavale, il tombe sur le cadavre du père Brind'Amour, célèbre chasseur de loups-garous, et il usurpe son identité. Auprès des colons d'une seigneurie des environs, il se fait passer pour l'ecclésiastique et doit bientôt affronter une bête féroce qui hante les nuits du canton. Tout ça pendant que les filles du roi, fraîchement débarquées du bateau, sont placées en quarantaine dans la chapelle en attendant leur mariage arrangé.
Au Québec, c'est toujours la même chose : il faut faire des miracles avec des budgets serrés. C'est plein de bonnes intentions, de talent, mais malheureusement, les intentions ne se traduisent pas en dollars, encore moins en résultats. Ici, les rigueurs du budget sont apparentes du début à la fin du film, d'abord dans l'étroitesse des cadrages (qui cachent la modestie des décors) et dans la représentation limitée de la fameuse bête tant attendue. Les nombreuses diversions qu'utilise le scénario (noirceur, porte close, hors cadre) pour ne pas montrer la bête agacent franchement, et une transformation, à l'aide d'effets spéciaux qui demeurent, disons, douteux, ne convainc guère. On pourrait dire que Le poil de la bête n'a rien à envier, niveau loup-garou, à The Wolfman, de Joe Johnston. Et ce n'est pas un compliment.
Le langage utilisé pose aussi problème : les personnages parlent à la fois un Québécois bien senti et un Français soutenu. Le problème, ce n'est pas qu'ils parlent l'un ou l'autre, le problème, c'est qu'ils parlent les deux à la fois. Dans la même phrase, pour le même personnage, le registre passe du charretier analphabète au linguiste érudit; cela crée confusion et scepticisme, plutôt que l'effet comique espéré. Les nombreuses ruptures de ton qui affectent les dialogues affectent aussi le film lui-même : est-ce une comédie ou film d'horreur? Les deux publics risquent d'être insatisfaits, tant on ne se consacre ni à un, ni à l'autre.
C'est sans parler des comédiens, qui cabotinent affreusement, sans doute eux aussi un peu perdus dans cet univers fantastique complètement incohérent, où les personnages cherchent le gag plutôt que de vivre les mésaventures qu'on a conçues pour eux. Ce n'est pas qu'ils sont sans talent, bien au contraire, c'est qu'ils n'ont rien à jouer... Et pour ce qui est de rire... disons que les dialogues sont d'un ridicule qu'ils semblent être les seuls à ne pas remarquer. Pour peu on entendrait : « Arrête de faire des gestes...»
S'il a fallu se battre pendant des années pour convaincre tout le monde que « ce n'est pas parce que c'est québécois que c'est mauvais », il ne faut pas oublier qu'on a du même coup expliqué que « ce n'est pas parce que c'est québécois que c'est bon. » De toute façon, dans ce qui est aujourd'hui le « cinéma québécois », ce qu'on aime ce n'est pas le « québécois », mais le « cinéma ». Et comme l'effort, les bonnes intentions et le peu de moyens ne sont pas des excuses valables, il faut consacrer l'échec de ce Poil de la bête. Voilà aussi un signe de maturité pour une cinématographie en santé.