On savait déjà que Lucien Rivard était un personnage insaisissable; la preuve est maintenant faite. Même l'oeil raffiné de Charles Binamé n'y peut rien, Le piège américain est un exercice confus au scénario chancelant, monté comme un exercice de maternelle où Rivard, un « héros » québécois, est un simple figurant de l'assassinat de JFK. Le changement de titre (de Rivard à Le piège américain) aurait dû nous mettre la puce à l'oreille. Bourré de mots d'auteurs et de name-dropping, la légende est tout simplement trop dense pour être vraie... ou réelle, cela dit.
Le caïd québécois Lucien Rivard (Rémy Girard, fidèle à lui-même) a fait la une des journaux pour son évasion spectaculaire de la prison de Bordeaux, pour sa cavale de quatre mois, pour ses liens avec la mafia américaine et le crime organisé français et pour sa possible implication dans l'assassinant de John F. Kennedy, en novembre 1963 à Dallas. Dans une première partie expéditive, Le piège américain montre tous les personnages importants que Rivard a côtoyés : Paul Mondolini, Jack Ruby, Che Guevara, Oswald, peut-être mais pas vraiment... Beaucoup de monde, pas beaucoup de résultats. Rien sur l'ascension de Rivard, rien sur ses véritables activités, rien sur la force des ses contacts. Il menace plutôt des individus patibulaires de les tuer s'ils lui pointent à nouveau un fusil sur la tempe... des individus qu'on ne reverra jamais.
Déjà que la légende qui entoure Lucien Rivard est obscure, Fabienne Larouche et Michel Trudeau ne prenne pas les bons moyens pour la porter au grand écran. Ils décident de régler le cas de l'évasion en dix secondes à peine (il cogne à la porte et il sort), celui de la cavale en une scène ou presque afin de revenir à l'assassinant de JFK, qui se déroule pendant que Rivard est en prison. Savait-il quelque chose? Peu importe, il ne fait rien du tout, il attend. Oswald est envoyé comme bouc-émissaire, un mystérieux agent de la CIA aux motivations impénétrables parle au téléphone avec Hoover sans qu'on sache ce qu'il fait vraiment, un agent des Narcs poursuit inlassablement la justice et une jolie blonde a très très peur pour sa vie. Pendant ce temps, Rivard, lui, le héros, le personnage principal, attend.
Les scénaristes, marqués, comme toute une génération, par ces événements tragiques qui ont changé le cours de l'histoire, délaissent leur sujet (leur « héros » québécois) au profit d'un commentaire plus personnel qui dépasse les simples frontières du Québec. Parler de l'Amérique, dans ces circonstances et en français, est déjà un exercice périlleux dans un livre, alors au cinéma... Impossible de faire fonctionner cette histoire sans proposer une relecture de l'histoire qui dépasse tout simplement les limites du plausible. Et on s'attaque à un assassinat qui fait l'objet d'un véritable culte et qui a inspiré de nombreuses théories de complot...
Le montage maladroit ne fait qu'ajouter à la confusion, d'autant que d'associer des oiseaux en cage avec Rivard qui déclare ne pas vouloir « vivre dans une prison dorée en mangeant des croissants » est une faute de goût élémentaire et impardonnable. L'association est maladroite et brouillonne. Même l'interprétation compétente des comédiens ne change rien au résultat, d'autant que l'intégration d'images d'archives se fait difficilement. Et quelle coïncidence encore une fois que tout le monde parle français!
On a retiré tout ce qu'elle avait d'excitant à la légende de Lucien Rivard pour en faire un film d'action sans action, un drame sans tension dramatique. Si Rivard a le droit de s'inquiéter à ce point de savoir « si c'est vrai ou si c'est réel » - il en va, pour lui, de la postérité - Larouche, Trudeau et Binamé, des gens d'expérience, devraient savoir qu'au cinéma, cela n'a aucune importance. On n'a qu'à le montrer et c'est là, c'est réel, sur l'écran, bien palpable, on le voit. Et des histoires comme celles-ci, racontées par des gens qui connaissent aussi bien leur métier, deviennent souvent plus vraies que la réalité elle-même. C'est un défi immense, et ce n'est même pas une bonne idée.