Le cinéma américain s'est dépassé cette année en terme d'excellents films angoissants. Après Us et Midsommar, place à The Lighthouse qui prend l'affiche pour l'Halloween.
Le premier plan de ce classique en devenir affiche rapidement ses couleurs : les ténèbres s'ouvrent peu à peu pour laisser émaner un bateau, des êtres et puis une île mystérieuse perdue dans une époque incertaine. C'est là que Thomas (Willem Dafoe) et Ephraim (Robert Pattinson) garderont le phare. Une mission simple qui deviendra de plus en plus impossible à mesure qu'une menace lourde se fait ressentir.
Ce long métrage unique en son genre est issu de l'imaginaire malsain du jeune cinéaste américain Robert Eggers, qui en avait impressionné plus d'un avec son précédent The Witch. On retrouve à nouveau son obsession pour les atmosphères tendues et les animaux inquiétants, utilisant un rythme différent afin d'entrer littéralement dans la tête des cinéphiles. Rigide, austère et hypnotique, non sans longueurs et répétitions, le récit fascine allègrement, donnant la chair de poule par une multiplication de visions hallucinogènes et cauchemardesques.
N'importe quoi peut arriver dans ce lieu perdu où le temps semble s'être arrêté. Trop de solitude et d'alcool amènent parfois une folie passagère, où les fantasmes finissent par se manifester réellement. Pas surprenant alors que la réalisation multiplie les champs-contrechamps pour isoler ses personnages. Ces derniers sont défendus par deux acteurs au sommet de leur art. Willem Dafoe campe le vieux grincheux à la perfection devant l'incroyable Robert Pattinson qui n'a rien à envier à Joaquin Phoenix dans le Joker dans sa façon de perdre la tête. Une relation d'amour/haine viscérale, teintée de manipulations et de beuveries qui atteignent des proportions mythologiques avec cette finale inoubliable qui évoque Prométhée. Ce sera peut-être trop lourd et symbolique pour certains appétits, sauf qu'il ne faut pas nécessairement prendre tout ce qui arrive au pied de la lettre tant l'humour noir y est ravageur.
C'est d'ailleurs le combat entre l'ombre et la lumière qui est le réel enjeu du film. Ironiquement, le phare censé éclairer plonge ses âmes dans la pénombre la plus totale. La magnifique photographie en noir et blanc forme rapidement un gris pesant, à l'image de ce cadre qui se resserre et qui prive d'oxygène. Un immense travail sur la forme, autant visuelle que sonore (que de bruits stridents!), qui évoque le cinéma muet, l'expressionnisme allemand et certains classiques d'Hitchcock, de Dreyer, de Mizoguchi, de Bergman et de Bresson.
The Lighthouse ne sera évidemment pas pour tout le monde. Il ne s'agit pas d'une production horrifique conventionnelle avec son lot d'hémoglobine et de sursauts gratuits. Au contraire, la terreur, d'abord intellectuelle, devient de plus en plus physique, jusqu'à traumatiser par son impact et s'inscrire irrémédiablement dans l'inconscience. Non, on ne verra plus jamais les mouettes de la même façon...