Pour savoir comment faire d'une histoire familiale une oeuvre cinématographique puissante et enivrante, il faut consulter Asghar Farhadi. Un divorce, un mariage, une famille reconstituée, mais, surtout, un passé. Il n'y a rien de bien exceptionnel dans la trame narrative du film de Farhadi, pas de retournements grandioses (ou du moins pas de ceux que nous avons l'habitude de voir, ou ceux auxquels nous nous attendions), ni d'intrigues qui nous maintiennent en haleine jusqu'à une finale déconcertante, seulement la vie, dans son plus simple appareil.
La caméra ne s'emporte pas non plus dans de grandes envolées artistiques. Des plans-séquence ou fixes nous dévoilent, le plus délicatement possible, des vies brisées par trop de regrets. Il y a une élégance dans la réalisation de Farhadi qu'il est difficile d'égaler, une douceur qui transperce l'écran jusqu'à toucher directement le coeur du spectateur. Certains détails plus techniques et esthétiques viennent aussi enrichir cette nonchalance. Les voix et les bruits qui ne traversent pas les fenêtres et ces nombreux silences, lourds et brumeux, apportent une substance singulière à la production qui fait des oeuvres de Farhadi, et celle-ci en particulier, des oeuvres d'art uniques.
Les trois acteurs principaux; Tahar Rahim, Bérénice Bejo et Ali Mosaffa ont aussi beaucoup à voir dans la réussite de l'oeuvre. La jeune Pauline Burlet, qui interprète la fille adolescente du personnage de Bejo, est également troublante de vérité. Même les enfants Elyes Aguis et Jeanne Jestin sont exceptionnels. Il faut certes saluer leur grand talent des interprètes, mais il ne faut pas oublier d'applaudir les qualités de direction d'acteurs du réalisateur. Pour obtenir une telle unité à l'écran, une telle communion, le maître d'oeuvre a immanquablement son rôle à jouer.
La manière dont l'histoire est racontée est aussi très intéressante. Le cinéaste ne porte aucun jugement sur ses personnages. Chacun d'eux a ses raisons d'agir comme il agit. Il n'y a pas de bons, ni de méchants dans Le passé. Nos perceptions des protagonistes muent au fil du récit, au fil des révélations, jusqu'à nous amener à réaliser que personne n'est parfait et qu'une médaille n'a jamais qu'un seul côté. On ressent toute la profondeur des personnages dès leur première apparition à l'écran. Ils possèdent une substance qu'il est rare de voir au cinéma, une intériorité qu'il est généralement difficile à percevoir dans un film qui n'a que deux heures pour nous présenter - et nous faire aimer - ces héros.
Jusqu'à la toute fin, Le passé impressionne et chamboule. C'est d'ailleurs sur un plan fixe rempli d'espoir et douceur que l'oeuvre se clôt. Le passé prouve aussi qu'il est possible de faire des films lents, émotifs, remplis de silence et non-dits, sans qu'il devienne fastidieux et exaspérant. Farhadi maîtrise l'appareil cinématographique comme peu d'autres et nous fait découvrir un cinéma qui déroute par sa justesse et sa force tranquille. Un cinéma vibrant et poignant.