Sans jamais être freiné par son concept, très rigoureux, d'une narration à plusieurs voix, Le météore, de François Delisle, parvient à créer des étincelles de beauté, de grands moments d'émotion, dont l'éphémérité est à la fois la raison d'être et la conséquence. Comme chez Xavier Dolan, l'amalgame de moyens cinématographiques donne naissance à des dizaines d'émotions à saisir, des émotions furtives, qu'on capte selon sa personnalité, son expérience de vie, ses habitudes cinématographiques, etc. Voilà un film qu'on regarde seul, même avec d'autres.
Bien sûr, la voix profonde et sensible de François Papineau y est pour beaucoup dans cette réussite, alors qu'Andrée Lachapelle, désarmante de naturel et de véracité, émeut presque à chaque intervention. Dominique Leduc, Stéphane Jacques et Pierre-Luc Fontaine donnent eux aussi une couleur, une profondeur à l'ambiance inhabituelle du film, qui fait la preuve que les mots peuvent être cinématographiques s'ils sont bien utilisés. Dans un film aussi fortement porté par la voix de ses interprètes, leur efficacité et leur talent sont les conditions sine qua none à une cohérence globale du projet.
La beauté de cette histoire tient dans sa simplicité : un homme, incarcéré pour une lourde peine, sa mère qui vient le voir toutes les semaines et son ex, qui veut refaire sa vie mais qui est hantée par son ancien compagnon. Autour d'eux, un gardien de prison, et un jeune dealer qui se voit déjà au haut de l'échelle. Ils ne dialoguent pas, ils nous parlent, ainsi qu'à eux-mêmes. Des petits moments de lucidité et de véracité, d'amour inconditionnel. C'est rare que ce soit si brut.
La complexité des personnages est décuplée par ces voix, par cette narration sensible, alors que les images tournées par Delisle, qui s'affranchit ici avec grand succès des rigueurs d'une trame narrative conventionnelle, ajoutent elles aussi à la charge émotive potentielle du long métrage en misant beaucoup sur la suggestion. En d'autres mots : la rigueur poétique, l'humanité et l'efficacité du Météore pourraient bien vous émouvoir.
Peut-être pas, aussi, comprenez-moi bien; un film comme celui-ci est une expérience très personnelle. À chacun sa métaphore. Ce moment de cinéma, cette proposition de cinéma, qui évoque autant la littérature que la tragédie, que la photographie, que la vie elle-même, se propose d'imprégner le spectateur de sentiments, et c'est tout à son honneur que de traiter avec autant de beauté un sujet si grave, sans tomber dans le réquisitoire ou le jugement facile.
Sans que la finale n'atteigne les sommets qu'on souhaitait pour elle, voilà un long métrage sensible et audacieux qui contribue à la belle diversité et à la qualité globale du cinéma québécois. Et il est fort possible que François Delisle ait fait ici son film le plus abouti, un film dont la beauté tragique, si vivante, et la poésie, rendent profondément humain.