Comment faire un film sur ce monstre coké, assoiffé de sexe et d'argent et sans morale qu'est Jordan Belfort? Tout d'abord, il faut demander à Leo DiCaprio de l'incarner; l'acteur américain le plus impressionnant de sa génération lui confère le charisme, l'ironie et l'irrévérence nécessaires pour le rendre plausible (ce n'était pas une mince affaire), même lorsqu'il s'adresse agressivement à la caméra ou qu'il sniffe de la coke dans le cul d'une pute. Bien sûr, que Scorsese s'accommode bien de ces excès était nécessaire aussi; sa réalisation s'approprie parfaitement cette histoire et la magnifie, et au final, le seul défaut du film est pratiquement d'être trop court malgré ses trois heures.
Alors oui, DiCaprio, en pleine forme comme toujours (il ne semble jamais faire de mauvais choix), est le joyau de ce film, dans le rôle d'un personnage sans commune mesure qu'on rencontre ici dans tellement de registres; à 22 ans, alors qu'il apprend les rudiments du métier - mais surtout du mode de vie - de Wall Street, comme père de famille, comme patron, drogué, puis au sommet de sa carrière, irrévérencieux, intouchable, au beau milieu d'un naufrage. Wow.
Les rôles secondaires, nombreux, sont tous jouissifs, en particulier Jonah Hill, qui démontre encore une fois une subtilité très impressionnante pour un acteur qu'on associe surtout à la comédie, et Margot Robbie, qui va bien au-delà de la beauté de service (mais tout de même, quelle beauté). Dire que les acteurs sont tous efficaces revient à dire que Scorsese les dirige d'une main de maître. Le long métrage parvient à être excessif, émouvant et hilarant à la fois, souvent les trois en même temps, grâce à sa vision et à leur jeu.
Donc, comment faire un film sur ce monstre? En abordant de front la question morale sans hypocrisie, en se permettant tous les excès, en racontant l'histoire sans l'embellir, de telle sorte qu'on soit sans cesse persuadé qu'ils seront pris et punis. C'est dans la nature humaine, autant que de se pardonner à soi-même des comportements immoraux pour être riche. Établir qu'autant de drogue, de putes et de crimes financiers ont certainement une date d'expiration, et la repousser le plus possible. À chaque nouvelle occasion, repousser l'échéance. Le film nous étourdit ainsi, en étalant la richesse de Belfort ainsi que ses nombreuses thématiques qui évoquent la laideur de la nature humaine, et en multipliant les revirements imprévisibles.
En réalité, le principal problème du film est que, même à 180 minutes, on ressent constamment les coupures, les ellipses et les omissions de cette histoire qui est déjà plus grande que nature, et qui semblait l'être encore plus. Tout de même, le style de Scorsese (et peut-être son penchant pour les fresques monumentales) lui convient bien, les effets de style sont particulièrement inspirés et cinématographiques. Résultat : The Wolf of Wall Street est une réussite, et peut-être le meilleur film du réalisateur new-yorkais depuis dix ans.