L'endoctrinement est un sujet à la mode au cinéma. Le septième art n'hésite pas à puiser au sein du réel afin d'éclairer cette douloureuse problématique qui touche de plus en plus les sociétés occidentales. Pour s'en rappeler, il est toujours possible de revoir le récent L'adieu à la nuit d'André Téchiné et l'excellent La désintégration de Philippe Faucon.
Les réputés Luc et Jean-Pierre Dardenne empruntent cette voie avec Le jeune Ahmed en se gardant bien de verser dans l'explication sociologique, politique ou économique simpliste. Au contraire, c'est toute la complexité de l'être humain qui les fascine. Surtout qu'ils ne s'intéressent pas - comme c'est généralement le cas - à ce qui provoque cette radicalisation, mais bien au long et difficile chemin de déprogrammation. Si cela est possible, évidemment.
Il n'est donc pas surprenant de retrouver comme protagoniste un jeune de 13 ans, coincé entre l'enfance et l'adolescence. C'est l'âge où tout est encore possible et un nouveau prétexte pour les frères d'explorer cette jeunesse impérieuse, obsessive et entêtée, capable de mener de front mille combats en se laissant porter par leurs idéaux, bons ou mauvais. Depuis La promesse, les cinéastes sont devenus une référence en la matière, le prouvant à nouveau avec cette oeuvre subtile et implacable, prête à exploser à chaque moment.
Mais contrairement à Rosetta, Le fils ou même L'enfant, les frangins s'aventurent en terrain inconnu en filmant le destin d'un personnage qui n'est jamais réellement attachant. Avec ses moues régulières et son caractère brouillon, l'être campé solidement par le nouveau venu Idir Ben Addi ne suscite aucune sympathie. C'est d'ailleurs là le risque de l'entreprise. Demander l'implication du spectateur auprès de cette figure peu aimable et charismatique en lui changeant progressivement le regard, en faisant émaner une humanité insoupçonnée.
Cela est possible par le soin apporté à la mise en scène, récompensée à Cannes en 2019. Après s'être abreuvés au conte dans Le silence de Lorna et Le gamin au vélo, puis avoir tâté le suspense en compagnie de Deux jours, une nuit et La fille inconnue, les réalisateurs belges renouent avec la simplicité et l'efficacité de ce qu'ils faisaient dans les années 90. L'urgence de la quête, l'isolement de l'individu dans le cadre et la rigidité du montage finissent par laisser de l'espace au temps, au plan séquence et à cette vie qui reprend ses droits. Jusque dans certaines répétitions lorsque l'action quitte la ville pour la campagne et où l'intrigue épouse quelques codes du récit d'apprentissage. Quand la caméra est toujours au bon endroit, cela aide à mieux voir le héros, aussi détestable soit-il.
Encore plus sombre que d'habitude malgré une finale empreinte d'espoir qui ne fera cependant pas l'unanimité, Le jeune Ahmed ne se situe en aucun cas au sommet de l'impressionnante filmographie du duo, qui comprend deux Palmes d'or et son lot d'opus importants. Plus aride et maussade, le long métrage ne marque pas autant les esprits que leurs précédentes pièces d'orfèvre. Mais même un petit cru des frères Dardennes vaut plus que la majorité des sorties régulières tant il est habité par une vision forte et cohérente, dont l'importance se fait plus que jamais ressentir dans le monde d'aujourd'hui.