La Deuxième Guerre mondiale est probablement le sujet le plus exploité au cinéma. Tout semble avoir été dit sur l'Holocauste, une des pires tragédies de l'histoire humaine. Mais est-ce réellement le cas? Certainement pas s'il faut se fier à l'éblouissant chef-d'oeuvre en puissance Le fils de Saul.
Un peu comme l'avait fait Gillo Pontecorvo (La bataille d'Alger) à travers son trop peu vu Kapo, le réalisateur hongrois Laszlo Nemes est parvenu à trouver un angle inédit. Il suit Saul (Géza Röhrig), un prisonnier chargé d'amener ses semblables aux fours crématoires et de tout nettoyer une fois que le gaz a fait son effet. La rébellion gronde, la révolte cogne à la porte, mais tout cela n'a pas d'importance pour notre protagoniste depuis qu'il a découvert la dépouille de son fils et qu'il souhaite l'enterrer correctement à l'aide d'un rabbin.
Ce désir d'humanité et de dignité transcende cet opus magistral qui est particulièrement difficile à supporter. Le scénario chargé sans être trop lourd suit notre héros dans différents camps de travail, y circulant comme s'il était dans les cercles de l'Enfer de la Divine Comédie de Dante. La souffrance y règne, la mort est palpable et l'espoir de la première scène - un couple fait l'amour dans la nature bucolique - se transforme rapidement en résignation, en requiem funèbre.
Le fils de Saul n'est pourtant pas un documentaire, même si sa description anthropologique et sociologique n'est pas sans rappeler l'immense Shoah de Claude Lanzmann. Il s'agit d'une fiction. Alors comment fait-on pour recréer et décrire ces atrocités sans nom en étant à la fois regardable, défendable et justifiable? Une quête de moralité de tous les instants, où même Steven Spielberg s'est fourvoyé avec son surestimé Schindler's List.
Le metteur en scène a pris le pari de ne montrer que ce que voit et entend Saul. Il devient le témoin impuissant d'un génocide en action, une figure complexe et tragique que son acteur Géza Röhrig rend parfaitement dans ce qui est son premier rôle à l'écran. Ce choix intimiste de se coller à lui affecte évidemment la réalisation où le jeu sur l'image d'un format inhabituel et le son si déstabilisant impressionne constamment. Des cris de condamnés hanteront à jamais le spectateur pendant que de la fumée provoque un chaos encore plus indescriptible. Un tour de force pour ce jeune cinéaste de 38 ans qui en est à son premier long métrage. Sans doute qu'il a tout appris de l'illustre maître Béla Tarr en étant son assistant-réalisateur (cela explique l'omniprésence des plans-séquences), mais il s'agit néanmoins d'un des meilleurs premiers films de l'histoire du septième art.
Faisant le bonheur des cinéphiles du monde entier en remportant le prestigieux Grand Prix à Cannes, un Golden Globe et bientôt un Oscar, Le fils de Saul n'a pas volé sa réputation. Il s'agit d'un film brillant et important, destiné à devenir un classique. De quoi en ressortir épuisé, mais ébloui, avec un raz-de-marée d'émotions qui ne sont pas immédiates comme dans La vie est belle de Roberto Benigni, mais qui surviennent quelques temps après la tombée du générique. Là c'est le déluge.