Daniel Day-Lewis a annoncé que Phantom Thread allait être son dernier film. Une retraite bien méritée pour le triple lauréat aux Oscars qui a décidé comme chant du cygne de mettre son immense talent au service d'une oeuvre colossale.
Il s'agit également de la réunion cinématographique tant espérée entre le comédien de 60 ans et le cinéaste émérite Paul Thomas Anderson, une décennie après la sortie du grandiose There Will Be Blood, l'un des meilleurs longs métrages américains du siècle. Cela donne une nouvelle association un peu moins ambitieuse, mais presque aussi essentielle.
Il y a en apparence beaucoup de Robert Altman (un des modèles du réalisateur, comme en font foi ses Boogie Nights, Magnolia et l'incompris Inherent Vice) dans cette création visuellement époustouflante qui se déroule dans l'univers de la mode au milieu des années 50. Surtout lorsqu'un couturier renommé (Day-Lewis) décide de prendre comme muse une parfaite inconnue (Vicky Krieps).
Très rapidement, on bifurque chez Stanley Kubrick, alors que le metteur en scène continue son obsession pour les plans parfaits qui ont débuté par There Will Be Blood puis The Master. Sa maîtrise du médium laisse pantois. Chaque cadrage, chaque petit détail bénéficient d'une impulsion viscérale. Alors qu'on pourra à nouveau accuser PTA d'intellectualiser son sujet et de laisser l'émotion en retrait, il est impossible de ne pas être soufflé par sa démarche qui réunit à la même enseigne tout ce qui fait la force de Nolan, Fincher, Malick et Aronofsky.
La musique de Jonny Greenwood sert à nouveau d'élan fusionnel. Ses hypnotisantes mélodies au piano saupoudrent 70 % du récit (de plus de deux heures), demeurant un personnage à part entière. Alors que le spectre d'Alfred Hitchcock plane constamment à l'horizon (celui de Rebecca et Suspicion), il y a toujours un élément de l'intrigue qui vient semer le doute, amenant le tout vers le mélo à la Douglas Sirk et le film aux moeurs étranges propre à Joseph Losey (The Servant). Entre suspense, romance et drame, l'effort fait même le grand écart vers la satire. Celle qui rend inconfortable par son humour noir et dont le climat malsain surprendra jusqu'à la fin.
Dans ce probant jeu de manipulation entre gens issus de classes sociales différentes, un être réussira à s'affranchir des conditions de son époque et de cette masculinité toxique. Pour la première fois de sa carrière, le cinéaste met une femme (et même deux, si on compte Lesley Manville, excellente en frangine inquiétante) au centre de ses préoccupations. Vicky Krieps n'est pas une inconnue, mais voilà enfin quelqu'un qui a réellement confiance en ses moyens! L'interprète du Luxembourg s'acquitte merveilleusement de la tâche, s'avérant à la fois la rose et l'épine de l'histoire, poussant presque Daniel Day-Lewis à un rôle de soutien tout riquiqui. C'est évidemment mal connaître son partenaire à l'écran qui rend palpables les émotions les plus complexes, offrant un ultime tour de prestidigitation.
Phantom Thread est un film brillant, glaçant et pervers à la fois, dont les moments de grâce ne finiront pas de hanter et fasciner. Paul Thomas Anderson est vraiment dans une classe à part et si le style unique du réalisateur peut paraître ampoulé pour certains, son pouvoir d'ensorcellement ravira les cinéphiles, qui risquent très bien d'insérer ce titre dans leur palmarès de fin d'année. Eh oui, on pense déjà à ça...