Lorsque les Américains adaptent une oeuvre étrangère, ils ont l'incohérente manie d'en faire trop; trop de tueries, trop de violence (d'ailleurs, je crois qu'il faut être inquiet de leur adaptation de Millénium et de The Experiment, qui sont assez brutaux et perturbants en version originale), trop de faux-sentiments et, comme dans le cas présent, trop d'humour facile et impertinent. Le dîner de cons américain (malgré quelques blagues senties et quelques jeux de mots habiles) s'élance trop souvent dans des avenues inutiles et absurdes (pour amuser le spectateur, pour le divertir à un niveau primitif) sans se soucier de la progression narrative. Même si Steve Carell et Zach Galifianakis sont de parfaits « connards » (on aimerait d'ailleurs les voir jouer autre chose, ça serait tout au moins rafraîchissant), la démesure qui habite leur personnage respectif et leur exubérance étouffent tout sentiment d'appartenance ou compassion que l'on pourrait avoir à leur égard.
Tim, un analyste financier dans une grosse compagnie, espère avoir une promotion. Pour l'obtenir, il doit se présenter à un souper qu'organise son patron en présence d'un con. La personne qui amène le personnage le plus coloré, le plus stupide, remporte le concours et obtient, automatiquement, le respect du patron. Alors que Tim se convainc de ne pas se présenter à cette soirée dégradante, il frappe un piéton avec sa voiture. Ce dernier collectionne les souris mortes et reconstitue des scènes importantes de l'histoire du monde grâce à leur carcasse. Un con parfait pour le souper chez son supérieur.
Le film de Francis Veber, paru en 1997, était inspiré (assez textuellement) d'une pièce de théâtre, alors l'action se déroulait presque entièrement dans un seul lieu; l'appartement de Pierre Brochant. Les Américains (encore dans cet esprit de grandeur) ont déraciné les personnages de leur ancrage, leur permettant de visiter (au lieu de communiquer simplement par téléphone) celui que l'on soupçonne être l'amant, l'ami déconcertant au bureau des impôts et les autres cons présents au fameux souper. Bien que cette migration vers des lieux nouveaux aurait pu amener des situations intéressantes et inusitées, elle ne fait (la plupart du temps) que mettre en évidence la prévisibilité de l'oeuvre, la facilité de l'humour employé et l'abondance de coïncidences facilitant la cohésion du récit.
La destinée de certains personnages nouveaux ou plus développés, plus approfondis que dans la version originale, est jointe à celle des deux protagonistes. L'amant est ici un peintre excentrique qui couche avec les femmes qui l'entourent prétextant une démarche artistique. Le personnage est amusant, déjanté, mais ressemble beaucoup trop à l'une des nombreuses performances de Russell Brand à l'écran. Brochant, dans le premier dîner de cons, était un voleur, un escroc, un égoïste, mais Tim, dans la version de Jay Roach, est un être bon, généreux, compatissant; comme si on avait voulu que le public s'identifie à un être équilibré, plutôt qu'à un scélérat (le gentil américain qui ne réunirait jamais un groupe de mésadaptés pour rire d'eux s'il n'en était pas forcé...).
Difficile d'atteindre l'ingénieuse stupidité de Francis Veber, difficile de faire de ce succès français, une oeuvre aussi astucieuse et hilarante, difficile quant on croit que la technique la plus juste pour y arriver est d'en faire trop plus que les Français. D'ailleurs, ce film nous donne une bonne idée de ce à quoi l'on peut s'attendre des oeuvres françaises Pour elle et LOL (deux bons films) qui seront bientôt adaptées à l'américaine.