Ridley Scott tourne plus vite que son ombre. En 2021, le réalisateur de 83 ans propose pas un mais deux films. En attendant de découvrir son biopic House of Gucci qui met en vedette Lady Gaga, Jared Leto, Jeremy Irons et Al Pacino, place à The Last Duel.
Contrairement à ce qu'indique son titre, il ne s'agit pas d'une suite à The Duellists, le premier long métrage du cinéaste britannique qui demeure, encore à ce jour, un de ses meilleurs opus. Ce récent essai inspiré d'une histoire vraie se déroule plutôt au 14e siècle, dans un Royaume de France où tout le monde parle anglais (les joies des productions hollywoodiennes) et qui voit l'amitié entre deux chevaliers (Matt Damon et Adam Driver) être sévèrement mise à l'épreuve par la tentation de la chair.
Deux récits assemblés à la va-comme-je-te-pousse émanent de cette production luxueuse. Le premier mise sur la guerre, les combats et la violence. C'est spectaculaire, vertigineux et parsemé d'hémoglobine. Un peu plus et on a l'impression que le père de Blade Runner voulait refaire une nouvelle version de Kingdom of Heaven, la baignant dans la virilité et l'hyper masculinité. Pour de la substance et de la subtilité, mieux vaut se tourner vers l'immense The Green Knight.
Puis il y a les conséquences de ces alliances malfaisantes, du patriarcat et de la mainmise des hommes, qui résultent au véritable dessein du projet : il sera question de consentement et de viol. À une époque décadente (dont les exemples dégradants et misogynes sont filmés ad vitam aeternam), le masculin n'est pas tendre envers le féminin, et lorsqu'il y a abus, il n'est pas tant question de sauver l'honneur bafoué de madame que de laver le nom de monsieur! Cela résulte évidemment en une explosion de testostérone et à un affrontement dantesque entre les deux (anti)héros. Une vengeance qui n'est pas sans rappeler celle de Gladiator.
S'éternisant sur plus de 2 heures 30 minutes, The Last Duel emprunte une construction à la Rashomon, présentant trois points de vues distincts. Sauf que contrairement au chef-d'oeuvre d'Akira Kurosawa, les versions n'enrichissent pas les précédentes. Au contraire, les répétitions sont reines des événements, surtout dans les deux premiers tronçons, et il faut attendre le dernier - le plus puissant - pour être enfin récompensé. C'est là qu'on laisse enfin de la place au véritable sujet : cette femme qui ose rompre le silence en dénonçant son agresseur et à sa courageuse quête de justice et de vérité. C'est trop peu trop tard.
C'est à se demander si le scénario concocté à la base par Matt Damon et Ben Affleck (très faible en comparaison de leur travail commun sur Good Will Hunting) ne s'inscrivait pas dans l'ère du temps et qu'on a ajouté in extremis une vision féminine (celle de Nicole Holofcener, auteure des ravissants Please Give et Enough Said) pour s'éviter des critiques. Cela donne un résultat hasardeux et loin d'être harmonieux, plus opportuniste que sincère, qui tente d'être féministe, mais qui est tout simplement douteux. Oui, le dernier plan appartient à la victime, sauf que c'est son absence pendant presque toute l'intrigue qui fait sourciller.
Ce n'est pas suffisant pour démotiver l'actrice Jodie Comer (Free Guy), qui livre la performance la plus juste et crédible de l'ensemble. Son personnage effacé manque peut-être de profondeur, ce qui ne l'empêche pas d'être vibrante dans chacune de ses scènes. On ne peut en dire autant de ses partenaires de jeu. Affublé d'une coupe mulet, Matt Damon apparaît bien fade et amorphe, comme si Ridley Scott avait oublié de le diriger, le laissant seul sur Mars (c'était peut-être un clin d'oeil à The Martian). Au contraire, Adam Driver bouille d'une intensité monolithique, singeant l'amour toxique et possessif qu'il avait développé si brillamment dans Annette. Au moins, il y a Ben Affleck, méconnaissable en comte amoral, qui lui permet, après sa présence touchante dans The Way Back, d'être à nouveau pris au sérieux.
Habitué de représenter à l'écran des femmes fortes (Alien, Thelma & Louise, G.I. Jane), Ridley Scott aurait peut-être dû porter plus d'attention à l'écriture qu'à la réalisation, méticuleuse et superbement photographiée (signée Dariusz Wolski de News of the World), quoique ultimement lourde et assommante. Parce que même si The Last Duel est plus supportable que ses précédents efforts, il ne s'avère pas moins superficiel et quelconque, ne sachant jamais quoi faire de sa brûlante et importante matière première.