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Insondable
Lorsque j'ai lu le résumé du film de Claude Lanzmann, "Le dernier des injustes", je me suis immédiatement souvenu des mots qu'écrivait Etty Hillesum dans son journal, en date du 28 juillet 1942 : "La collaboration apportée par une petite partie des Juifs à la déportation de tous les autres est évidemment un acte irréparable. L'Histoire aura à juger." C'est donc sous la poussée de ces mots d'une plume pourtant si réfractaire à tout jugement que je me suis empressé d'aller voir ce documentaire que j'aurais aimé visionner en compagnie d'Etty Hillesum que j'imaginais prenant le micro à la fin de la projection pour animer une discussion de type "ciné-club".
Ce documentaire (qui ne relève d'aucune autre catégorie que de celle du journalisme historique) est passionnant pour qui s'intéresse aux méandres de la psyché humaine. Le personnage de Murmelstein qui, soit dit en passant, ne m'a pas semblé irradier un seul photon du grand-rabbin qu'il était pourtant à Vienne, m'a donné une sorte de vertige devant l'abîme insondable de ses explications et rationalisations alimentées par une intelligence qui m'a, à quelques reprises, parue quasi "diabolique". Je ne pouvais chasser de mon esprit le fait qu'interviewé par Lanzmann en 1975, il avait eu 30 ans pour bétonner une argumentation à toute épreuve au niveau du discours.
Je suis sorti de la salle perplexe et résigné à ne jamais savoir si j'avais assisté à 3 heures de poudre aux yeux par un prestidigitateur du verbe ou à 3 heures d'humanisme pragmatique démontré par un fin stratège aussi détaché qu'admirable. Apparemment, je ne suis pas le seul à avoir éprouvé ce genre de doutes : voir http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/12/20/le-cas-murmelstein_4337501_3246.html
J'emprunterai donc aussi à Etty Hillesum les mots qui concluront ce rendez-vous raté avec la lumière de la vérité : "Je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n'ayons d'abord corrigé en nous." Et si j'avais été à la place de Benjamin Murmelstein, qu'aurais-je fait?