Est-ce qu'il y a un esprit plus disjoncté dans le cinéma contemporain que celui de Quentin Dupieux? Depuis que le célèbre Mr. Oizo s'est mis au septième art, il est devenu le fils spirituel de Luis Bunuel et Bertrand Blier, pondant des récits absurdes et surréalistes où le non-sens est roi. Le voici qui s'éclate avec Le daim.
La prémisse de son nouveau long métrage rappelle celle de son film culte Rubber. Sauf que cette fois, il n'est pas question d'un pneu tueur, mais d'un blouson 100 % daim qui rend fou son propriétaire (Jean Dujardin)! Difficile de trouver une idée plus farfelue que celle-ci. Qui se développe dans des zones incroyables, surprenant constamment tout au long de ses 77 minutes après une entrée en matière un peu longuette.
Il s'agit d'abord et avant tout d'une fable existentielle assez perturbante sur la solitude et l'aliénation mentale. Un manque affectif tellement profond qui pousse l'être humain à jeter son dévolu sur un objet qui devient source de fétichisme et de possession. Au sein d'une société de plus en plus individualiste et capitaliste, ne porte-t-on pas tous une coquille pour se cacher? Peu importe que ce soit une veste ou une moustache, se dérober s'avère souvent une nécessité. Surtout lorsqu'on évolue dans un monde aussi fade, qui est représenté par une photographie sans attrait (c'est volontaire) et une mise en scène minimaliste.
Pour tenter de survivre, il faut transformer son environnement. C'est là que Le daim se métamorphose en oeuvre sur le cinéma, avec ce protagoniste - qui ressemble comme deux gouttes d'eau au réalisateur - qui immortalise sa démarche saugrenue en filmant des inconnus portant des blousons. Son entourage tente de donner du sens à ce geste, particulièrement une barmaid (Adèle Haenel) qui s'improvise monteuse. Depuis ses débuts, tout le monde a voulu comprendre et expliquer la folie créative de Dupieux, ce qui est d'autant plus vain qu'il se laisse porter par ses envies et ses pulsions afin de s'affranchir du réel.
Il le fait en rendant flou les notions de vrai et de faux, en jouant avec la temporalité et les mises en abyme. Moins tordu et labyrinthique que ses précédents Réalité et Wrong, son plus récent effort fracasse avec volupté les genres, passant de la comédie noire au western et au thriller, sans oublier de payer un hommage aux vieux nanars. Ses ambiances sonores suffocantes et sa musique menaçante évoquent le slasher, qui est évidemment parodié pour l'occasion. Un peu plus et on se croirait devant Parasite, bien que l'opus de Bong Joon-ho soit encore plus maîtrisé et nécessaire.
Ce qui permet de croire à cet étrange délire est la dévotion totale de son héros. Depuis qu'il a été dirigé par les imprévisibles maîtres du bizarre Benoît Delépine et Gustave Kerven sur I Feel Good, Jean Dujardin n'est plus le même. Son jeu a pris une dimension insoupçonnée et il ne pense plus autant à son ego et à son image. Au contraire, l'acteur s'abandonne en faisant confiance, ce qui lui permet de s'amuser et d'épater la galerie avec son humour dingue et ses répliques décalées. Il apparaît d'une sincérité désarmante dans sa façon de jongler avec ces situations qui dépassent l'entendement et d'incarner ce pauvre type à la personnalité défaillante. À ses côtés se trouve Adèle Haenel, très à l'aise dans un rôle comique peu étoffé. La comédienne a fait ses preuves dans le registre dramatique (il ne faudra surtout pas manquer Portrait de la jeune fille en feu qui doit bientôt prendre l'affiche), ce qui ne l'empêche pas de se défendre lors de moments plus légers et ludiques, comme elle a pu le prouver récemment avec le jubilatoire En liberté!.
Après avoir offert son meilleur film en carrière avec Au poste!, Quentin Dupieux récidive avec Le daim, une nouvelle farce acidulée et bordélique. Plus mineur et un peu précipité dans sa dernière ligne droite, l'essai souvent hilarant ne manque pas de décaper et de dérouter. Il en faudrait tellement plus de ces créations originales et complètement cinglées.