Dans le cinéma québécois où l'argent est limité, ses artisans doivent apprendre à faire beaucoup avec peu. Il n'y a aucun cinéaste qui applique mieux cette maxime qu'Olivier Asselin. Son nouveau film Le cyclotron se déroule d'ailleurs pendant la Seconde Guerre mondiale et il s'agit d'un suspense sur un train avec des nazis, de l'action et des cascades. Le générique d'introduction est d'ailleurs une petite merveille qui rivalise avec les superproductions américaines.
Comment y arrive-t-il? Avec beaucoup d'ingéniosité. Ainsi qu'une ambition démesurée qui redonne ses lettres de noblesse au septième d'art d'antan. Le long métrage qui mélange expressionnisme allemand et film noir américain tout en empruntant l'esthétisme des oeuvres muettes de Guy Maddin et la virtuosité technique du Europa de Lars von Trier offre un brillant amalgame de ce qui, à priori, ne fonctionne pas ensemble. Sans jamais tomber dans le pastiche, ce qui est tout un exploit.
La prémisse philosophique et cérébrale se déroule à un moment clé de l'histoire où les secrets de la bombe nucléaire risquent de tomber entre de mauvaises mains. Un scénario parfois touffu qui alterne les époques (avec un aller-retour entre la couleur et le noir et blanc), les lieux, les langues utilisées (le français et l'allemand) et les personnages. Sauf que ces éléments techniques, cette mécanique quantique et ces particules élémentaires sont sublimés par une histoire d'amour entre deux scientifiques qui sont peut-être des espions. Une romance dotée d'un lyrisme poétique qui ne fait aucun doute. Lorsque raison et sentiment se rencontrent, la fusion ne peut qu'être particulière.
Elle l'est assez souvent même si la chimie n'est pas parfaite. Il n'est pas rare de se sentir perdu et dépassé par tout ce qui arrive. C'est d'ailleurs une des beautés de l'ouvrage, qui mise sur les surprises et l'originalité. Une donnée de plus en plus rare dans notre cinématographie nationale, bien que 2017 fasse mentir cet adage avec Mes nuits feront écho, Maudite poutine et Ceux qui font les révolutions... Le récit, cruellement d'actualité, renvoie directement à l'engagement en temps de crise - on est un héros ou un traître? - et l'ombre de cette menace nucléaire peut prendre différentes formes, dont celle d'un certain président américain qui a soif de pouvoir.
Depuis 1990 et son excellent La liberté d'une statue, le réalisateur développe un univers qui lui appartient. On le sent cette fois en contrôle de son destin (ce qui n'était pas toujours le cas du Siège de l'âme), débarrassé de sa prétention (Un capitalisme sentimental, qui offrait tout de même de beaux moments dansés et chantés). Il parle de nouveau de la métaphysique et de la notion d'humanité qui lui tiennent tant à coeur en recourant à ses acteurs fétiches (Paul Ahmarani et surtout Lucille Fluet, également coscénariste) qui savent comment interagir dans cet univers particulier et volontairement superficiel. Le ton parfois ludique (un exposé avec un animal rappelle un opus de Desplechin) demeure généralement sérieux et une échappatoire finale assez saugrenue sur le destin croise la vision d'un Kieslowski à la démarche créative de De Palma.
Tout n'est évidemment pas toujours de ce calibre (c'est parfois simpliste et trop appuyé) et il faut être à l'aise avec les ovnis hors norme pour apprécier pleinement cette folle création. Une fois que c'est fait, Le cyclotron devient alors un incontournable.