Le reproche le plus souvent formulé à l'égard du cinéma de Gareth Edwards stipule que ses protagonistes ont tendance à manquer de relief, de substance, voire d'humanité.
Ce fut particulièrement le cas pour son Godzilla. Malgré ses nombreuses prouesses visuelles, le Britannique en avait effectivement peut-être un peu trop mis dans son assiette d'un point de vue diégétique. De sorte que ses personnages humains n'ont eu droit en bout de ligne qu'au strict minimum d'attention.
Dans Rogue One - qui demeure la meilleure production Star Wars de l'ère Disney -, Edwards avait surtout le désavantage de devoir composer avec une majorité de personnages à usage unique.
L'ironie a finalement voulu que le réalisateur comble cette lacune et signe son film le plus chargé émotionnellement en abordant la question on ne peut plus d'actualité de l'évolution à vitesse grand V de l'intelligence artificielle.
The Creator nous transporte quatre décennies dans le futur, alors que des machines de plus en plus sophistiquées cohabitent avec les humains et exécutent diverses tâches, de la plus rudimentaire à la plus complexe. C'est du moins le cas jusqu'à ce qu'une bombe atomique explose à Los Angeles. Un androïde étant blâmé pour la catastrophe, l'Occident bannit aussitôt toutes formes d'IA de son territoire.
Du côté du nouveau continent asiatique, l'intelligence artificielle continue de se développer et d'occuper une place prépondérante dans le fonctionnement de la société. Si bien qu'on parle à présent d'une espèce à part entière.
Mais les Américains continuent de faire la guerre aux machines pour tenter d'enrayer toutes menaces potentielles. Et au milieu du conflit se retrouve Joshua (John David Washington), un ex-agent double qui - pour un motif personnel - accepte de reprendre du service pour aider le gouvernement à mettre la main sur une arme de destruction massive qui pourrait changer le cours du conflit.
À la surprise de tous, l'arme en question est aussi le premier androïde ayant l'apparence d'un enfant.
La plus grande force de The Creator est sans contredit la façon dont Edwards et ses acolytes établissent et développent un univers cinématographique vibrant, étoffé, complexe et foisonnant de vie.
Edwards signe ici une mise en scène d'une clairvoyance et d'une beauté phénoménales, regorgeant de détails significatifs, de jeux de perspective hallucinants et de couleurs lumineuses. Le tout fait parfaitement écho à l'architecture illustrée des villes et des environnements futuristes des films d'animation japonais des années 1980 et 1990 (nommément les classiques intemporels Akira et Ghost in the Shell).
À travers la complicité naissante entre Joshua et la fillette robotisée, le film suit, certes, les rouages d'un scénario hollywoodien classique, notamment durant le troisième acte, plus précipité. Ceux-ci rappellent d'ailleurs nombre d'oeuvres marquantes du genre - en particulier celles de James Cameron et de Ridley Scott -, mais sans toutefois chercher à faire vibrer une quelconque fibre nostalgique chez le spectateur.
Edwards fait preuve de tout autant de maîtrise et de style dans la réalisation de ses séquences d'action, qui n'ont rien d'hyperactives, et mènent à plusieurs moments d'anthologie. Car le réalisateur nous donne le temps d'apprécier les qualités de chacune de ses séquences, plutôt que de se concentrer uniquement sur l'effet d'adrénaline.
Dans le rôle principal, John David Washington offre une autre performance aussi sentie que nuancée, les principales motivations de son personnage lui permettant également de lui conférer une belle vulnérabilité.
Quelqu'un a aussi eu l'idée de génie de confier le rôle d'une militaire endurcie à Allison Janney, dont la composition va de pair avec l'approche générale du discours tenu par Edwards et son coscénariste Chris Weitz.
À cet égard, le duo joue encore une fois de finesse en ne cherchant en aucun cas à faire la morale à qui que ce soit, nous proposant plutôt une multitude de pistes de réflexion pertinentes sur ce parcours que nous entamons collectivement en terre inconnue.
Le long métrage conserve d'ailleurs une certaine ambigüité jusque dans ces derniers instants, mise en lumière par l'entremise d'une série de dialogues bien tournés et particulièrement évocateurs. Certes, un clan est volontairement antagonisé plus que l'autre, mais le film les garde néanmoins à l'intérieur d'une zone grise en nous rappelant constamment que leurs agissements sont avant tout motivés par la peur.
Entre le développement de la conscience des machines, leur simple posture, et l'idée que celles-ci puissent vouloir imiter leurs créateurs au point d'assimiler des notions de spiritualité, en passant par une réponse émotionnelle humaine qui ne peut toujours être rationalisée, les échos des ratés de la guerre du Viêt Nam, et cette très courte scène où une vie artificielle se développe dans une fabrique insalubre, The Creator nous pousse à réfléchir sur le sens de chaque décision artistique et de chaque élément qu'il présente à l'écran.
Une méga production aussi poétique et méditative qu'haletante et divertissante est définitivement une denrée rare ces jours-ci.
Pour toutes ces raisons, The Creator s'impose comme l'un des films de science-fiction à grand déploiement les plus intelligents, perspicaces et visuellement époustouflants qu'il nous ait été donné de voir depuis longtemps.