Livre choc lors de sa parution en France, en 2020, Le consentement, de Vanessa Springora, relate la relation d'emprise que l'écrivain pédophile Gabriel Matzneff a exercé sur elle pendant son adolescence, dans les années 1980. L'adaptation au grand écran par la réalisatrice Vanessa Filho n'épargne pas le spectateur dans une volonté assumée de décrire, sans concession, la mécanique insidieuse du quinquagénaire déployée contre sa jeune victime.
Homme brillant et érudit, manipulateur de première, grand parleur doté d'un ego démesuré, Matzneff (Jean-Paul Rouve) se sert des mots pour enjôler la fragile et renfermée Vanessa (Kim Higelin), elle-même aspirante à une carrière en littérature. De fil en aiguille, sous couvert de romantisme, la manipulation psychologique conduira à la manipulation sexuelle. « C'est une chance pour toi que je sois le premier. Je ne suis peut-être pas parfait, mais je maîtrise l'art de l'amour », dit-il à la jeune fille vierge de 14 ans avant de l'entraîner dans son lit.
Transportée dans un maelström d'émotions à une période charnière de sa vie, obnubilée d'être l'élue d'un artiste admiré et plus vieux qu'elle, mais emprisonnée progressivement dans un engrenage de chantage émotif, Vanessa en viendra à flirter avec la folie. La chanson de Barbara, « Mon enfance », insérée en sourdine en fin de parcours, vient faire écho à ses tourments. « Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs. Du temps béni de l'enfance. Car parmi tous les souvenirs, ceux de l'enfance sont les pires. Ceux de l'enfance nous déchirent. »
Le consentement n'est pas un film facile à regarder. Impossible de rester de glace à observer cet homme sans scrupules tisser une toile autour de sa proie, l'exhiber dans son petit cercle mondain parisien où tout un chacun connaissait sa préférence sexuelle pour les mineurs. Lui-même en avait fait le fonds de commerce de son oeuvre littéraire, ce qui nous amène à nous demander jusqu'où un écrivain peut aller au nom de l'art. Il a fallu la courageuse dénonciation de Denise Bombardier sur le plateau de l'émission Apostrophes - sortie présentée en partie dans le film - pour faire ouvrir les yeux sur cette ignominie que même la mère de l'adolescente (Laetitia Casta), à notre plus grande incompréhension, a cautionné après avoir tenté en vain de s'y opposer.
La caméra de Vanessa Filho capte au plus près le parcours émotionnel en montagnes russes de Vanessa et la façon dont elle finit par être dépossédée de son pouvoir de consentement, si tant est qu'elle a pu en disposer. Comment faire autrement à un âge charnière où notre personnalité reste à construire. Notre malaise face à cette relation tordue est décuplée lors des nombreuses scènes d'intimité où Vanessa est exposée dans toute sa vulnérabilité et Matzneff, dans toute sa perversité. La réalisatrice ne cherche pas à épargner le spectateur dans sa volonté assumée de dénoncer l'acte pédophile dans ce qu'il peut avoir de plus pernicieux.
Heureusement, puisque tout ne peut pas être noir, il y aura reconstruction pour Vanessa. La dernière scène la montre, adulte (Élodie Bouchez), devant son écran d'ordinateur, à écrire le titre de son autobiographie à venir. Elle prend alors son agresseur à son propre piège. Elle l'enferme dans un livre.
Kim Higelin, petite-fille de Jacques Higelin, a fait preuve d'audace pour son premier grand rôle au cinéma, et s'en tire avec brio dans sa façon d'épouser son personnage, les émotions à fleur de peau en permanence. Face à elle, c'est un Jean-Paul Rouve hallucinant qui habite cet ogre qu'on se plaît à détester au premier regard. Il y avait un moment que le cinéma français avait proposé vilain aussi machiavélique et glacial. Il lui a également fallu du courage pour accepter ce rôle casse-gueule.
Si le mouvement #metoo a pris du temps à traverser l'Atlantique, force est de constater que l'éveil collectif semble poindre chez nos cousins. À ce film coup de poing, il faut ajouter la mise au pilori de Gérard Depardieu et les dénonciations de quelques actrices, dont Judith Godrèche, à la récente cérémonie des Césars. Comme quoi le cinéma français commence à réaliser que les abus sexuels et les comportements inacceptables n'ont plus leur place dans ce milieu où la loi du silence règne depuis trop longtemps.