Le cinéma québécois n'est pas particulièrement réputé pour son originalité. Il y a bien sûr André Forcier, Robert Morin, Olivier Asselin, Stéphane Lafleur et Olivier Godin qui s'y prêtent, mais généralement les drames humains côtoient les comédies plus typées.
De quoi accueillir à bras ouverts le cinéaste franco-manitobain Ryan McKenna qui est domicilié à Montréal depuis quelques années. En voilà un qui a fait ses armes auprès de l'illuminé Guy Maddin et qui cherche à brasser la cage avec ce deuxième long métrage qui arrive quelques années après son trop peu vu The First Winter.
Le coeur de madame Sabali est d'abord et avant tout une oeuvre qui sort de l'ordinaire. C'est déjà beaucoup au sein de tous les films qui prennent l'affiche chaque semaine. Dans ce monde délirant, il est question d'inceste et de trains, de rêves démoniaques, de somnambulisme et de Michel Forget. Et surtout d'une greffée du coeur (Marie Brassard) qui se lie d'amitié avec le fils de la donneuse.
L'exercice veut tellement être étrange, bizarre et singulier qu'il finit par manquer de fraîcheur, de personnalité et d'authenticité. Les répliques absurdes et les synthétiseurs biscornus à la Howard Shore évoquent Stéphane Lafleur qui lui, ne force jamais son univers. Rien n'est naturel ici, ni les cadrages à la Keaton et Tati ou encore le ton tragicomique si populaire dans le cinéma scandinave (pensons seulement aux têtes de file que sont Aki Kaurismäki, Roy Andersson et Bent Hamer).
Le problème était le même dans le récent Henri Henri de Martin Talbot. Les acteurs sont impeccables et ils ne jouent pas trop. L'humour vient plutôt des situations, des images et de la musique, ce qui permet à Marie Brassard de briller - enfin un premier rôle pour elle au cinéma! - et à Francis La Haye de demeurer dans un registre qu'il connaît trop bien (n'est-il pas l'acteur fétiche de Lafleur?). La direction artistique s'avère soignée et colorée, pas trop éloignée de celle d'un Wes Anderson, et les amateurs du duo malien Amadou et Mariam seront heureux de les voir et de les entendre à l'écran.
C'est le scénario qui, encore une fois, déraille rapidement. Il est mince, superficiel et peu approfondi. Le réalisateur a beau développer des liens sur ce qui unit les gens, cette famille où la notion de frère et de fils peut paraître floue, l'ensemble manque de logique et de direction. Les séances de rêves façon David Lynch avec un couteau s'enfargent dans une symbolique un peu rudimentaire sur l'eau et les femmes enceintes, alors que les personnages sommairement esquissés semblent parfois se demander ce qu'ils font dans cette succession de scènes tirées par les cheveux.
Moins forcé et appuyé, Le coeur de madame Sabali n'en aurait été que meilleur. En terme de conte fantaisiste et disjoncté sur les secondes chances, le film occupe toutefois une place à part dans notre cinématographie. En espérant qu'il y en aille davantage et de meilleurs.