Knight of Cups est facilement le film américain le plus audacieux des dernières années. Devant tant d'originalité, de liberté et de virtuosité, il est facile d'être laissé au bord de la route. Face à l'inconnu, certains cinéphiles préfèreront rebrousser chemin et suivre des sentiers déjà connus et arpentés. Ceux qui oseront y pénétrer s'en rappelleront longtemps.
Il ne faut surtout pas s'attendre à un long métrage comme les autres. Le traditionnel schéma narratif avec une histoire classique en trois actes a été remplacé par deux heures d'errance et d'expérimentation. Celle d'un scénariste hollywoodien (Christian Bale) en pleine crise existentielle qui tente de secouer sa vie. Rapidement le passé se joint à la danse du présent et tout se complique davantage.
C'est un Bale complètement muet que l'on retrouve dans la peau d'un Batman sans costume qui cherche encore et toujours des raisons pour prendre soin de l'humanité. Les trouver l'obligera à imiter Dante et prendre la route de l'Enfer en quête du Purgatoire et du Paradis. Son personnage s'apparente à un esprit perdu, le protagoniste par excellence du cinéma de Terrence Malick depuis ses débuts avec Badlands.
Rapidement on devine que c'est le mythique cinéaste américain qui est la véritable vedette de ce nouvel opus. Avec sa merveilleuse caméra sans attache (gracieuseté du génial Emmanuel Lubezki qui vient de remporter trois oscars consécutifs pour The Revenant, Birdman et Gravity), ses choix musicaux qui touchent au sacré, ses ellipses à donner le tournis, son éternelle voix hors-champ qui rappelle que les gens ne se parlent plus et les danses lunaires de ses héroïnes, son sceau demeure intact. On sent toutefois qu'il se radicalise, se permettant des excès qu'aucun de ses pairs n'oserait imaginer (que ce soit Tarantino, Fincher, Nolan ou Spielberg).
Son regard unique sur la condition humaine est loin d'être reluisant. L'Homme a été détourné de son but premier et il se livre à tous les excès possibles et inimaginables. Les fêtes infinies occupent ses pensées, tout comme le plaisir de la chair et les histoires sans lendemain (avec Cate Blanchett et autres Natalie Portman qui n'ont volontairement que des rôles éphémères). Le bruit a triomphé de la bulle individuelle, transformant l'être de chair et de sang en vulgaire vampire. Là où quelques spectateurs pourront déceler une vision vide, narcissique et misogyne de l'état du monde, il ne faut évidemment pas prendre au pied de la lettre ce qu'on voit. Parce que le récit épouse cette vacuité du quotidien, un peu comme le faisait Paolo Sorrentino avec son exquis La grande beauté, tout en se livrant à des transgressions plus documentaires sur les inégalités sociales que n'auraient pas renié Jean-Luc Godard.
Pas surprenant que le metteur en scène préfère filmer la nature, les animaux, l'eau et les majestueux espaces vides et sauvages. Ses réminiscences servent à rappeler qu'un autre univers est possible en se rapprochant des éléments et en renouant avec ses racines familiales. Qu'il y ait quelque part une clé au bonheur et qu'il faut seulement avoir foi - en Dieu, au hasard, à la chance, au tarot qui explique le titre - en quelque chose. Encore là, la corruption n'est jamais bien loin, terrassant les plus belles histoires d'amour, transformant cette passion fulgurante en objet inanimé. Un schéma déjà utilisé dans le mésestimé To the Wonder du même créateur et qui va cette fois plus loin.
C'est donc à une terre de décadence que nous convie Terrence Malick avec Knight of Cups, qui n'est pas sans rappeler ses chefs-d'oeuvre The Thin Red Line et The Tree of Life mais en plus naïf et urbain. Devant la folie de l'existence, l'âme a rendu les armes, se réfugiant dans des songes pour éviter de souffrir. Il fallait un film transcendant, poétique et touché par la grâce pour matérialiser ce mal-être et si le résultat final risque d'être trop impénétrable et mystique pour un certain public, il ne pourra laisser personne indifférent. Surtout qu'on y replongera avec bonheur afin de lever le voile sur ses nombreux mystères énigmatiques.