Dernier tome d'une trilogie portant sur l'héroïsme ordinaire, Richard Jewell se situe à mi-chemin entre le prenant Sully et l'insultant The 15:17 to Paris.
Pour son 38e film (!) derrière la caméra, Clint Eastwood s'inspire d'une nouvelle histoire vraie : celle de Richard Jewell qui est passé de héros à zéro en quelques jours seulement. Après avoir sauvé des vies lors de l'explosion survenue pendant les Jeux olympiques d'Atlanta en 1996, l'agent de sécurité a été suspecté d'avoir été l'instigateur de l'attentat terroriste.
Paul Walter Hauser campe avec maestria cette figure tragique. Celui qui volait littéralement le spectacle dans I, Tonya interprète avec sensibilité un être naïf et débonnaire, dont la perte d'innocence concorde avec celle de son pays. L'introduction sur fond de placement de produit à l'effigie d'une barre de chocolat montre un homme sincère et attentionné. Un jeu tout en retenue, sorte de croisement improbable entre Seth Rogen et John Candy, qui contraste avec celui plus cinglant de Sam Rockwell (son avocat) et de Kathy Bates (sa mère), qui est surtout là pour soutirer des larmes aux spectateurs.
Âgé de 89 ans, Eastwood n'a plus rien à prouver à personne, livrant une mise en scène sobre et fonctionnelle qui va droit au but. Pas de flafla, de scènes élaborées ou d'un montage soutenu si les plans simples peuvent trouver une fluidité de chaque instant au sein d'une grande économie de moyens. La direction photo du Québécois Yves Bélanger embrasse cette volonté en se concentrant sur les personnages. Le drame verbeux et psychologique a donc tôt fait de remplacer le suspense, assez inopérant, où le manque d'action se veut flagrant.
Ce qui est plus problématique est le scénario tendancieux de Billy Ray, qui ne connaît pas une grande année après les échecs successifs de Gemini Man et Terminator: Dark Fate. Ébranler les institutions en place est une chose. Le faire avec honnêteté et subtilité en est une autre. Ici, le FBI ne représente qu'une agence grotesque et incompétente qui invente des choses, alors que les médias s'apparentent à des rapaces sans scrupule qui couchent littéralement avec le pouvoir en place. En cette ère de cynisme et de fake news, Donald Trump risque bien de devenir le fan numéro un de ce long métrage qui s'apparente à de la propagande.
Après avoir quelque peu repris du poil de la bête grâce à son prédécesseur The Mule, Clint Eastwood plafonne avec Richard Jewell, offrant une autre oeuvre politiquement ambiguë (plus encore que American Sniper) qui aurait mérité d'être moins terne et fade. Elle est à l'image de la décennie qui s'achève pour cet immense cinéaste qui ne veut surtout pas tirer sa révérence, même s'il sait que ses meilleures créations sont derrière lui. Qui sait, peut-être arrivera-t-il encore à nous surprendre en sortant de son chapeau un autre grand opus, peut-être pas du calibre de Unforgiven ou Mystic River, mais de Gran Torino.