Le drame québécois est un genre assez homogène que peu de cinéastes osent outrepasser. Il possède ses règles et ses balises et, pour le spectateur moyen, ces longs métrages languissants se ressemblent tous. C'est pourquoi un film comme Le bonheur des autres est aussi rafraîchissant, même réconfortant; il démontre des aptitudes, des dispositions nouvelles que nous n'avons pas l'habitude de voir au sein du cinéma québécois. Le scénario du premier film de Jean-Philippe Pearson est certes intrigant et sympathique, mais la véritable force de l'oeuvre se trouve davantage au niveau de sa structure narrative que dans le sujet exploité. Une famille dysfonctionnelle n'est pas le thème le plus original qui soit, mais la manière qu'a le réalisateur de décrire chacun de ses personnages, de nous amener à les aimer malgré leurs défauts flagrants et leurs erreurs parfois impardonnables, nous fait apprécier son film instinctivement.
Le bonheur des autres se concentre principalement sur la vie des membres d'une famille en apparence ordinaire - ce n'est plus l'action qui prime, mais bien les différents actants, c'est pourquoi d'emblée nous avons l'impression que ce long métrage ferait une bonne série télévisée. Au petit écran, les auteurs ont le temps de développer la personnalité des personnages alors que dans un film d'une heure trente, c'est généralement ce qu'ils vivent - un moment ou un événement précis - qui nous intéresse. Cet aspect « télévisuel » pourrait, par contre, déranger davantage qu'il le fait ici. Pearson réussit à créer une union solide, des rapprochements importants (malgré la discorde qui règne entre eux) entre les différentes cellules pour que nous nous attachions aux protagonistes sans perdre de vu les filons de l'histoire. Ce qui est remarquable également c'est le côté très observateur du récit. Jamais le scénariste ne porte un jugement sur les actions de ses héros, personne ne détient la vérité et le public est libre de choisir son camp sans se sentir guidé ou influencé par une moralité, une conscience imposée. Nous serions tentés de juger Jean-Pierre qui a quitté sa femme et ses enfants pour aller travailler à Toronto, mais chaque point de vue est si bien développé que son départ finit par nous paraître justifié.
Pearson a su imbriquer à son film certains effets spéciaux ou autres traitements de l'image qui nous permettent d'affectionner encore davantage son oeuvre. L'une des premières scènes, qui présente la mère tyrannisée par de jeunes femmes avec leur poussette rouge et leur joie de vivre agaçante, gagne déjà le spectateur par son originalité et son humour légèrement décalé. Les acteurs conquièrent, eux aussi, rapidement l'auditoire avec leur jeu authentique et complémentaire. Michel Barrette, dans le rôle d'un père absent qui désire se racheter pour ses manquements passés, livre une performance touchante et mesurée alors que Ève Duranceau crève, quant à elle, l'écran en incarnant une femme dans la trentaine qui rêve de devenir mère, mais qui est confrontée à l'infertilité de son conjoint.
Par son audace calculée et ses couleurs nouvelles, Le bonheur des autres démontre une nuance bienvenue au sein d'un genre cinématographique qu'on croyait pourtant monocorde. Par contre, la comédie dramatique n'est pas suffisamment ambitieuse pour marquer ou provoquer un changement au sein de notre cinéma. Il ne suffit plus d'être efficace et sympathique pour parler de « succès », il faut dépasser les limites connues et réussir à convaincre le public de nous suivre pour entraîner un bouleversement considérable. Le bonheur des autres ne serait certes pas précepte de changement mais il saura, à sa plus simple résolution, précepte de bonheur.
Ce qui est remarquable également c'est le côté très observateur du récit. Jamais le scénariste ne porte un jugement sur les actions de ses héros, personne ne détient la vérité et le public est libre de choisir son camp sans se sentir guidé ou influencé par une moralité, une conscience imposée.
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