Batman est enfin de retour dans un film de qualité qui mérite le détour. Pas la mièvre représentation de l'homme chauve-souris qui se dressait péniblement dans les douteux Batman v Superman et Justice League, mais le chevalier torturé qu'on aime tant.
Entre les échecs douloureux de Zack Snyder et cette réussite signée Matt Reeves, il y a eu le Joker. Une fresque immense qui marque d'ailleurs au fer blanc cette nouvelle production, amenant avec elle une noirceur insoupçonnée. Un sentiment de fin du monde plane sur ce Gotham City gangrené par le crime, la violence et la pauvreté. Une société inégale qui ressemble beaucoup à la nôtre, mise à feu et à sang par un homme mystérieux qui cherche à éradiquer la corruption.
Une quête de réalisme dans un univers bédéiste, s'abreuvant aux classiques des années 70 (Chinatown, Klute, etc.) et prenant la forme d'un véritable thriller policier. Après une efficace mais trop lente entrée en matière qui évoque tour à tour Sin City et le cinéma de Brian De Palma, le récit débute véritablement avec Batman et le commissaire Gordon qui enquêtent sur le meurtre d'un homme puissant. Il y a des énigmes, d'autres cadavres et surtout un soin immense apporté aux ambiances et aux atmosphères, avec cette pluie diluvienne et ces ténèbres omniprésentes qui deviennent les métaphores du Mal en place. Un peu plus et on se croirait devant Seven, le brillant opus de David Fincher qui abordait des thèmes similaires.
Alternant entre les moments de suspense et les scènes d'action trépidantes, les élans romantiques et ceux plus sanglants, le long métrage ne manque pas d'efficacité. Le divertissement fonctionne allègrement même s'il se prend généralement au sérieux, prenant son temps afin de développer une intrigue riche et touffue, très agréable au demeurant, mais qui ne devait pas se bonifier lors des visionnages subséquents (au contraire, par exemple, d'un Zodiac qui grandissait à chaque nouvelle écoute). Malgré ses presque trois heures au compteur, la profondeur apparaît quelque peu factice et des coins ronds ont été coupés au niveau de la psychologie des personnages, qui demeure plutôt sommaire.
Batman a toujours été le personnage le moins intéressant des adaptations cinématographiques et celui-ci fait presque mentir l'adage. Les séances en Bruce Wayne sont réduites au strict minimum, ce qui n'empêche pas de plonger tête première dans ses démons et héritages familiaux. Surtout que Robert Pattinson fait bonne impression lorsqu'il ne tente pas de ressembler au chanteur de The Cure. Il est animé d'une énergie nouvelle, d'une scissure qui pourrait être explorée dans les suites. Soutenu par le commissaire Gordon (Jeffrey Wright est toujours impeccable) et son fidèle Alfred (pauvre Andy Serkis qui n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent), il se mesure à une horde de méchants, dont le Sphinx (Paul Dano, aussi tordu qu'espéré) et le Pingouin (méconnaissable Colin Farrell). Puis il y a l'insaisissable Femme-chat, campée avec délectation par Zoë Kravitz qui aura probablement bientôt son dérivé en solo.
Même s'il ne dispose pas d'un style qui lui est propre comme Tim Burton ou Christopher Nolan, le cinéaste Matt Reeves possède cette faculté de présenter autrement ce qu'on pensait déjà connaître. De l'oeuvre clichée de monstres, il a offert l'ingénieux Cloverfield. À partir de l'excellent drame suédois Let the Right One In, il a pondu l'un des rares remakes de qualité. Puis il a littéralement sauvé la plus récente trilogie The Planet of the Apes avec les deux derniers épisodes qui demeurent des références en la matière. Ici, il tente de sortir du mythe en misant sur un scénario inédit pour le genre, qui tient habilement la route malgré une conclusion kitch et démonstrative plus ou moins satisfaisante.
Sans détrôner The Dark Knight qui demeure dans une classe à part, The Batman innove et prend des risques, ce qui est rarement le cas des films de superhéros contemporains. Non seulement cette relecture sombre à souhait fait renaître une figure que l'on pensait morte et enterrée après les embarrassantes prestations de Ben Affleck, mais elle jette les bases d'une nouvelle trilogie qui s'annonce particulièrement enlevante.