Réalisé en duo par Simon Lavoie et Mathieu Denis, Laurentie raconte l'histoire de Louis Després, qui a 28 ans. C'est un Québécois assez banal qui travaille comme technicien audiovisuel, qui vit seul et qui s'ennuie. Il a bien une blonde, mais il ne la voit plus beaucoup, il lit de la poésie, prend de la bière avec ses deux seuls amis, méprise son voisin anglophone et ses collègues de travail, tout en essayant de sauver les apparences. Pour lui, le statu quo n'est pas une option, ne rien faire n'est pas envisageable.
Voilà peut-être le fond des choses de Laurentie : ne rien faire n'est pas envisageable. En se plaçant en observateur - leur caméra est souvent en retrait, fixe - les réalisateurs semblent vouloir manoeuvrer autour d'un personnage complexe qui apporte toute sa richesse à un récit et à un style laissés au second plan.
Emmanuel Schwartz est autoritaire dans un rôle exigeant et véritablement audacieux, qui ne sera sans doute jamais apprécié à sa juste valeur. L'identification au personnage est quasi nulle, mais ses craintes, ses opinions tranchées (et simplistes) apparaissent comme évidentes grâce à la dévotion et au talent du jeune acteur habité. Si les acteurs secondaires sont aussi « bons », ils sont éclipsés par Schwartz, qui vole toutes les scènes et même le film.
Car si on peut apprécier de Laurentie ce portrait sévère, mais juste d'un jeune Québécois en perdition, solitaire, désabusé, envieux et en colère, on ne saurait (ni ne souhaiterait) y voir autre chose; ni le poème d'un peuple aux caractéristiques semblables, ni un portrait de société ou d'une époque. Enfin, on peut bien si on veut, mais on ouvre alors la porte à un tas de problèmes : la simplicité du propos, son racisme latent, sa confusion sociale (les « Anglais » ne sont plus les Anglais, ce sont aussi tous les allophones arrivés depuis 1760 qui n'ont pas la responsabilité de « l'envahisseur ») et ses discours poétiques qui s'inscrivent assez mal dans un manifeste.
En dehors de cette légère confusion, Laurentie démontre de grandes qualités de réalisation et de scénarisation. Les plans-séquences en plan large, qui ne « surlignent » pas l'élément important dans l'image, sont bien plus stimulants qu'un découpage trop précis, tout particulièrement dans cet univers où l'ambiance prime. Les longues scènes presque sans action visent à laisser des impressions, des empreintes sur les spectateurs qui ressassent toutes sortes d'émotions fortes. À ce sujet, les mentions écrites, tirées de poèmes québécois, ajoutent une sorte de beauté élégante à la banalité des situations.
Mais il faut envisager ce film comme l'histoire de Louis Després pour en apprécier toutes les qualités et ne pas se laisser distraire par un message ambigu.
En mille sept cent soixante
Un soir de février
Il gelait à pierre fendre
Au fort Stadacconé
Les colons morfondus
De s'être trop battus
On fermé les battants
Des portes de la rue Saint-Jean
Au diable les Habits Rouges
On finira la guerre demain