Les deux premiers films de Xavier Dolan avaient posé les balises de son cinéma; Laurence Anyways essaie de les surpasser. En manipulant les mêmes objets cinématographiques, les mêmes outils, mais en augmentant leur portée, dans la durée et dans l'ambition; voilà un film qui raconte une histoire qui n'arrive pas à se limiter, qui refuse en quelque sorte la simplicité; bien sûr, il n'y a rien de simple à raconter sur dix ans la vie d'un homme qui décide de changer de sexe... mais au fond, oui. Au fond, Anyways, c'est juste un film d'amour.
On comprend bien que l'histoire d'un homme qui, à 35 ans, à l'aube des années 90, décide de devenir une femme, au péril de sa relation avec sa conjointe Fred, n'est pas simple, n'est pas une histoire comme les autres. La vie de couple n'est plus la même, la vie de famille non plus, et il en va de même pour la vie professionnelle. Et pourtant, il est tout à fait logique qu'au cinéma comme dans la société (il faudrait le réexpliquer à certains, mais c'est un autre débat) les histoires d'amour ne soient plus exclusivement réservées à un homme et à une femme. Ce sont les déclinaisons de l'amour qu'on retrouvait déjà chez Dolan, et chez Honoré. Et chez Almodovar, tant qu'à y être.
À nouveau, même dans ce contexte inhabituel, Dolan propose une succession d'images et de sons qui visent à créer un affect, une émotion sans justification rationnelle. C'est donc l'amalgame des possibilités du cinéma (la musique est ici - comme toujours - parfaitement intégrée à l'histoire) qui crée tour à tour des scènes, parfois de simples fragments d'images, des sons, des émotions d'une étrange beauté, dont l'impact est photographo-épileptique - une fraction de seconde - et inexplicable. Il y en a des centaines pendant les 165 minutes de Laurence Anyways. L'instinct de Dolan pour les images fortes est toujours présent; son audace, sa témérité, son assurance, tout y est. Mais tout, c'est parfois trop.
Car bien sûr, toutes ces tentatives ne fonctionnent pas également. Cela doit différer d'une personne à l'autre, d'un vécu à l'autre. Mais on capte immanquablement quelques-uns de ces moments, comme c'était le cas dans Les amours imaginaires et dans J'ai tué ma mère. Une scène au lave-auto au son de Prokofiev s'avère tout particulièrement épique, un paroxysme de musique et d'images de cinéma. Il y en a d'autres, mais ils se découvrent mieux dans un contexte contrôlé comme une bonne salle de cinéma.
C'est aussi l'occasion de découvrir l'interprétation inspirée de Melvin Poupaud dans le rôle de Laurence, l'énergie de Suzanne Clément, la galerie colorée de personnages secondaires et d'apprécier les pointes d'humour et les clins d'oeil que Dolan fait à toutes ces choses qu'on a dites et écrites sur lui depuis son arrivée intempérante dans la sphère du cinéma.
C'est dommage que Laurence Anyways soit trop long, parce que s'il ne l'était pas, on pourrait parler d'autre chose, de toutes ses qualités et de ses quelques défauts. On devrait parler d'autre chose, en fait, mais Laurence Anyways est vraiment trop long. Les grands moments sont ainsi dispersés entre quelques scènes parfois redondantes, parfois simplement mal jouées, qui allongent inutilement une simple histoire d'amour. Pas comme les autres, on veut bien, mais elles le sont toutes. Ce n'est pas leur unicité qui rend belles les histoires d'amour, c'est leur beauté, tout simplement.