Des films comme Lady Bird, il y en a eu des dizaines, des centaines, peut-être même des milliers. Mais il n'y en a pratiquement jamais eu d'aussi authentique et rafraîchissant que celui de Greta Gerwig.
Sur papier, il n'y a pourtant rien pour élever ce long métrage du lot. C'est le quotidien d'une adolescente frondeuse (Saoirse Ronan) qui aime se faire appeler Lady Bird. En froid contre sa mère (Laurie Metcalf), désirant quitter Sacramento pour New York, elle découvrira les difficultés de l'amour, de l'amitié et de la famille.
C'est le récit d'initiation classique qui évite continuellement les pièges des clichés et des stéréotypes. On est loin de Juno, 1981, 1987 et compagnie. En s'inspirant de son âge ingrat pour mieux s'en détacher, Gerwig pond un script d'une finesse et d'une intelligence redoutable, qui agit à tous les niveaux.
L'humour dicte le récit et il est presque constant. Il faudra peut-être même revoir cette oeuvre pour mieux saisir ses farces cachées, dissimulées dans des allusions ou des discussions banales. La subtilité a meilleur goût et si l'on peut rire à gorge déployée devant les péripéties, on se surprendra à y repenser avec un sourire aux lèvres. Une nonne qui parle de désirs et de Kierkegaard dans la même phrase, c'est loin d'être banal. Tout comme un groupe emo qui s'intitule L'enfance nue (clin d'oeil au classique de Maurice Pialat).
Autant l'ensemble est souvent hilarant, autant le drame s'y intègre parfaitement. Les répliques assassines surgissent à tout moment, atteignant solidement les êtres dans leur amour propre. C'est surtout la sphère privée qui en prend pour son rhume, où le venin de l'affirmation détruit sans le vouloir les liens les plus chers. Une amertume qui est sincère, car elle est vraie, et qui n'épargnera personne lors du dernier quart d'heure qui fera pleurer abondamment.
Inscrivant son action sur une année scolaire entre 2002 et 2003, l'ouvrage multiplie les liens entre la quête d'émancipation de sa protagoniste et le climat d'incertitude de l'Amérique après les attentats du 11 septembre. La perte de l'innocence est profonde sans être irrémédiable, donnant ainsi une couche supplémentaire au scénario qui est capable d'être à la fois personnel et universel, intime et d'une ambition démesurée.
S'il s'agit de la première réalisation de Gerwig, l'actrice a fait ses classes sur le plan narratif en participant à l'écriture des meilleurs opus de son amoureux Noah Baumbach (Frances Ha, Mistress America). Son univers sensible se rapproche toutefois de celui de Mike Mills, où elle incarnait récemment une figure faussement rebelle dans le délicat 20th Century Women.
Sa mise en scène est précise sans être trop apparente, laissant toute la place à ses fabuleux interprètes. Découverte dans le brillant Atonement il y a déjà une décennie et réputée pour le surestimé Brooklyn, Saoirse Ronan trouve ici le plus grand rôle de sa carrière. Elle ne fait qu'une avec cette adolescente que l'on aurait aimé pouvoir inclure dans son cercle d'amis. La route est déjà toute tracée pour les Oscars. D'ailleurs tous les comédiens arrivent véritablement à se faire valoir (mention spéciale à la renversante Laurie Metcalf), même dans les rôles les plus secondaires. Tout cela est possible grâce à des personnages en trois dimensions, riches et attachants, qui vivent réellement quelque chose.
C'est justement cette vive sensation d'avoir vécu une véritable tranche d'existence qui représente l'âme de Lady Bird. Derrière ce sentiment de banalité émane toute la complexité de la condition humaine, alors que légèreté et gravité forment l'osmose la plus admirable. Voilà un film qui sera impossible de ne pas aimer.