J'ai vu plusieurs films de Todd Solondz mais je n'avais, jusqu'ici, jamais eu à les « évaluer ». Et, entre vous et moi, je m'en portais très bien. En effet, ces films sont impossibles à « aimer »; comment ressentir le moindre sentiment positif face à ces pédophiles et autres dégénérés, des personnages psychologiquement instables, mesquins sinon carrément méchants, des criminels dans certains cas, qui sont les vedettes de Happiness et de Palindromes. Des personnages égocentriques qui ont l'Amérique (dans le sens d'United States of America) inscrite dans le code génétique. Mais, en y pensant bien, un tel malaise, aussi convaincu et aussi prononcé, ne peut que découler d'une maîtrise supérieure de l'objet cinématographique et de la rhétorique scénaristique.
Bien des années après les événements qui ont mené son père en prison pour agressions sexuelles sur deux garçons, le jeune Timmy habite en Floride avec sa mère et sa soeur. Son frère aîné, lui, vient d'entrer au collège. Sa mère Trish envisage de lui présenter son nouvel amant, avec qui elle envisage de se remarier. Sa tante Joy, qui vit des moments difficiles avec son mari, leur rend visite, pendant que son père, que Timmy croit mort, sort de prison et souhaite retrouver ses fils.
On évalue souvent le cinéma (bien sûr, on se méprend) par rapport au « plaisir » qu'il nous procure. Mais puisqu'il n'est pas question de « plaisir » et encore moins de « divertissement » dans ce type de cinéma, il convient plutôt de s'interroger sur la provenance des sentiments contradictoires ressentis pendant la projection. On ressent un profond malaise, souvent du dégoût, dans le cinéma de Solondz. On est affecté par la cruauté des dialogues, par la méchanceté des relations interpersonnelles présentées dans Life During Wartime. Aussi par la rigueur déstabilisante des réflexions et par la crédibilité des personnages.
Comme toujours chez Solondz, la provocation n'est pas démagogique, elle est signifiante, et elle est inspirée. Elle stimule les certitudes, souligne les tares d'une société qui se convainc elle-même que tout va bien. À travers le personnage de Bill, qui parle peu, le film est le plus éloquent et propose même des pistes de réconciliations. Les plus émouvantes scènes découlent de cette confrontation entre le père pédophile et le fils, précédée d'une magnifique scène où les étudiants comparent leurs familles pour savoir laquelle est la plus « dérangée » où ce dernier refuse de parler du dérèglement de son père.
De nombreux clins d'oeil référentiels viennent lier le film à Happiness - duquel il n'a effectivement ni la fraîcheur ni la puissance - afin d'en être la deuxième partie. Tous les acteurs d'Happiness ont cependant été remplacés pour cette « suite », réalisée douze ans plus tard. Ce « concept », évoqué dans Palindromes, rencontre ici sa limite : quelle plus-value y trouve-t-on? Que nous disent ces changements d'acteurs sur les personnages, sur l'action de filmer ou sur le récit mis en cause ici? Sur la filiation avec Happiness? Il ne faudrait pas méprendre obligation et « concept », et il n'est pas certain que l'impact émotif profite de ces changements.
Malgré la lourdeur du sujet, le ton n'est pas « grave », ni solennel - même pas empathique, surtout pas misérabiliste - et le film se donne le droit de rire malgré la lourdeur du propos, un droit que ne devraient pas se refuser les spectateurs non plus. Life During Wartime évoque le pardon pour la première fois au travers de ces êtres humains et ces pédophiles avec un talent rare et une force comique insoupçonnée. Surtout à travers tant de laideur. Du cinéma stimulant et surtout, surtout pas inoffensif.