David Copperfield a été adapté maintes fois au cinéma, mais jamais avec autant de virtuosité que la plus récente version d'Armando Iannucci, qui vient d'offrir la comédie la plus irrésistible de l'année.
Ce qui est bien des classiques, c'est qu'on peut les remanier à sa guise, selon l'époque et le talent de chacun. De toutes les transpositions de David Copperfield, la plus réussie était certainement celle de George Cukor en 1935. Jusqu'à maintenant. À l'aide de son coscénariste Simon Blackwell, le père de la série culte Veep donne un nouveau souffle au chef-d'oeuvre autobiographique de Charles Dickens.
Pour y arriver, il peut compter sur les mots, inoubliables, de son auteur. Les rencontres fortuites et légendaires qui marqueront à jamais notre héros. Ainsi que les thèmes sociaux (pauvreté, cupidité, partage, résilience...) qui résonnent toujours aujourd'hui.
Pour le reste, le cinéaste a fait confiance au pouvoir de son médium, trouvant des façons extravagantes et originales de faire ressortir ce qui a été écrit il y a 170 ans. Il y a bien entendu la présence d'un narrateur et celle de pseudo chapitres, mais également une large part de métafiction et de théâtralité, d'histoires possiblement inventées dans la grande histoire et même l'insertion de films pratiquement muets en guise de souvenirs mélancoliques. L'univers des possibles est immense et quiconque le désire vraiment pourra jouer avec la narrativité, pousser l'art encore plus loin.
Un autre moyen de sortir des sentiers battus est de décloîtrer l'oeuvre originale et la faire entrer dans le 21e siècle. Avec son héros indien et ses nombreux personnages noirs ou asiatiques, une diversité pleine et entière est possible. Surtout que ces figures ne représentent pas les traditionnels stéréotypes éculés, bien au contraire. Ils permettent plutôt de créer un nouvel imaginaire et faire rêver les garçons et les filles à des modèles qui ne sont pas toujours les mêmes.
Cela semble avoir inspiré Dev Patel qui trouve son meilleur rôle en carrière. Il est parfait en jeune homme qui ne s'en laisse pas imposer. Le reste de la distribution, tout aussi exceptionnelle, fait graviter une dizaine de personnages importants et attachants, dont Tilda Swinton en tante hors de l'ordinaire, le repoussant Ben Whishaw en sinueux antagoniste et Morfydd Clark - la révélation de Saint Maud, qui prendra bientôt l'affiche - en prétendante qui fait parler son chien!
Ce brouhaha de dialogues truculents, de situations incroyables et de destins en route fulmine au sein d'une mise en scène foisonnante, virevoltante et étourdissante, qui semble aller dans tous les sens tout en étant parfaitement ordonnée. Le rythme rapide de la première partie et beaucoup plus relâché de la seconde juxtapose les jeux de miroirs. Puis il y a ce soin visuel et sonore constant, dont l'énergie folle finit presque par épuiser avant la fin.
Jamais Armando Iannucci n'aura autant porté attention à sa réalisation, qui aspire à la même liberté que celle de son protagoniste. Cet amoureux des répliques assassines et de la satire politique (In the Loop, c'était évidemment de lui) a su évoluer au fil des années, demeurant pourtant toujours aussi verbeux et imprévisible. Loin d'être un faux pas, son précédent et hilarant The Death of Stalin annonçait les couleurs à venir. Cette faculté de prendre un sujet extrêmement sérieux et grave en le traitant avec humour et simulacre de légèreté. The Personal History of David Copperfield fera certainement moins scandale que son prédécesseur, sauf qu'il est alimenté de la même noirceur, de ces maux de la vie quotidienne qui sont, l'espace d'un moment, oubliés pour laisser toute la place aux rires, à l'émotion, à la poésie et à l'espoir.
Cette oeuvre follement créative et fantaisiste a su prendre les éléments fondamentaux de son immense matière première afin d'y incorporer un jouissif savoir-faire cinématographique. Ce qu'on aimerait que toutes les recréations de bouquins lui ressemblent!