Dans le domaine de l'animation, il y a le Studio Ghibli et il y a le reste. Même si on pouvait avoir des doutes sur leur première excursion hors du Japon, les créateurs des chefs-d'oeuvre Le tombeau des lucioles et Princesse Mononoke offrent avec La tortue rouge un nouveau classique en devenir.
Il y a peu de dessins animés qui ressemblent à cet opus, si ce n'est le magistral Le garçon et le monde qui a pris l'affiche au Québec l'année dernière. Le rythme lent, les longs plans et l'attention au temps qui passe font en sorte que le projet se rapproche davantage d'un film en prises de vue réelles. On est loin des montages frénétiques, des déferlements de bruits et de couleurs des animations de leurs équivalents américains.
Tout apparaît ici en retenue. Le dessin magnifique happe la rétine, la rendant béate avec ses somptueux jeux d'ombres et de lumières. Il y a une subtilité dans les mouvements, une grâce poétique qui se combine à de vibrantes mélodies orchestrales. Celles qui font accélérer la respiration et qui soufflent tout sur leur passage.
Reprendre le schéma classique d'un Robinson Crusoé sur son île aurait pu être casse-gueule. Pas pour le cinéaste Michael Dudok de Witt qui y a insufflé une profondeur unique, une pureté infinie. Les amateurs de son très joli court métrage Père et fille seront en terrain connu et son scénario dépouillé bénéficie grandement du travail d'adaptation de la cinéaste Pascale Ferran (Lady Chatterley, Bird People). Simplifier en gardant toute la puissance et la richesse, en voilà tout un exploit!
L'univers empreint de beauté où agissent les quelques personnages est porté par le cycle de la vie qui n'épargne rien ni personne et un profond respect pour l'environnement. Des thèmes matures qui demeurent accessibles aux plus jeunes et où le réalisme des situations est bouleversé par des échappatoires magiques. Quelques idées et paraboles pourront paraître simplistes ou rudimentaires : c'est pourtant l'universalité des sentiments qui est prise en compte. Celui qui bouleverse allègrement et qui rend les personnages si attachants. Le héros pourrait très bien être un descendant de Toshiro Mifune dans les Sept samouraïs, alors que les crabes trop mignons renvoient directement aux boules noires de Mon voisin Totoro et Le voyage de Chihiro.
Le plus incroyable est d'avoir imaginé cette épopée sans recourir au moindre dialogue. Eh oui, comme dans l'admirable L'île nue de Kaneto Shindo. La nature parle d'elle-même, envoûtant de son lyrisme, conviant le merveilleux et le philosophique au sein d'allégories inoubliables. L'aventure se fait par le regard et l'ouïe, séduisant au passage l'intelligence pour se lover auprès du coeur.
La tortue rouge est donc le premier film immense de 2017. Une fresque essentielle qui marquera petits et grands qui oseront s'éloigner de l'animation traditionnelle pour quelque chose d'infiniment supérieur. Le type de production que tout cinéphile qui se respecte voudra voir au moins une fois dans sa vie. On est déjà rendu à trois! En espérant que l'Oscar de la meilleure animation lui revienne...