Demi Moore est possiblement l'actrice américaine la plus emblématique des années 1990. De Ghost à G.I. Jane, elle était des projets les plus discutés. Dommage que Hollywood l'a trop souvent enfermée dans des personnages simplistes et hypersexualisés (pensons à Indecent Proposal, Disclosure et, évidemment, l'infâme Striptease), ce qui l'a empêché de donner la pleine mesure de son talent. Ce dernier était pourtant palpable dans des productions aussi variées que Deconstructing Harry et, plus tardivement, Margin Call.
Dans The Substance, elle trouve - et de loin - le meilleur rôle de sa carrière. Surtout qu'il s'agit pratiquement d'un documentaire sur son parcours. Star la plus populaire de son époque, Elisabeth (Demi Moore) est réduite à animer une émission d'aérobie à la télévision. Son patron Harvey (Dennis Quaid, un autre revenant des années 1980 et 1990 qui s'amuse ici comme un petit fou) ne cache pas qu'elle sera remplacée par quelqu'un de plus jeune et sexy. Désespérée, Elisabeth décide de se faire injecter une substance spéciale qui lui permettra d'offrir la meilleure version d'elle-même. Sue (Margaret Qualley, bien plus convaincante que dans Drive-Away Dolls et Kinds of Kindness) naît littéralement de ses entrailles et personne ne pourra l'empêcher d'avoir du succès.
Voilà une oeuvre qui ne manque pas de thèmes féconds. Entre la critique du système hollywoodien, la misogynie ambiante et l'âgisme qui sévit dans la société moderne, le récit n'épargne rien ni personne. Il est surtout question de la beauté qui vampirise tout, créant de la compétition entre les gens, amenant des individus à se déprécier. Le film a d'ailleurs remporté le prix du scénario au dernier Festival de Cannes. Il aurait plutôt dû récompenser la performance de Demi Moore ou la qualité de sa réalisation. En effet, le script touche à tout, mais il le fait de façon quelque peu superficielle, se cachant derrière une satire grossière et volontairement répétitive, dont l'humour grinçant fait mouche, mais jamais subtilement. Pour la réflexion, il faudra repasser.
Comme dans son précédent long métrage Revenge, Coralie Fargeat se plaît à détourner les codes en place, autant au niveau de la violence gore que du sexe pervers. Ce qui peut ressembler à l'exploitation du corps féminin devient plutôt entre ses mains et par son regard unique une charge féministe puissante. Et à l'instar du saisissant Titane de Julia Ducournau, la Française n'hésite pas à plonger dans le body horror cauchemardesque, poussant le bouchon encore plus loin. Les scènes inconfortables se succèdent, le malaise s'installe et les coeurs sensibles risquent de défaillir bien avant la fin.
Si David Cronenberg avait décidé de faire un remake de Requiem For a Dream, cela aurait sans doute ressemblé à The Substance. La mise en scène de Fargeat ressemble à s'y méprendre à celle Darren Aronofsky: même sentiment de claustrophobie, même rythme survolté qui finit par essouffler le spectateur. Le jeu de montage est similaire, tout comme l'utilisation de la musique de Raffertie.
Cela amène un crescendo final complètement grotesque et jouissif, trash à souhait, qui traumatisera ou fera hurler de rire le cinéphile. Une séquence inoubliable, tout en hommages (notamment à Carrie et The Shining), qui propulsera The Substance parmi les créations les plus marquantes de l'année. Le découvrir en salle parmi les gens relève de la véritable expérience, digne des séances les plus folles du festival Fantasia. S'il n'y a rien à prendre au sérieux dans ce délire, l'ensemble s'avère férocement divertissant, faisant vivre plein d'émotions fortes. Il permet surtout de révéler à nouveau Demi Moore dans une partition courageuse qui risque de passer à l'histoire du septième art, rappelant par son intensité celle d'Isabelle Adjani dans le mythique Possession.