On soupçonnait dès le départ que cette série de films ne serve au fond qu'à satisfaire un peu de l'appétit sexuel des jeunes filles prépubères qui n'avaient, jusque-là, aucun moyen d'exprimer ce qu'elles ressentent à l'intérieur, phénomène normal qu'elles ne peuvent pas expliquer et qu'on les force à réprimer dans une société américaine obsédée par la religion. Ce qu'on négligeait, c'est que les femmes plus mûres, brimées elles aussi, y trouveraient le rappel délicat d'une époque révolue - et sans doute moins « parfaite ». Voilà ce qu'est ce film cet objet (« ça ») : ça fait rêver les jeunes filles, ça les fait fantasmer, et ça les ramène dans le droit chemin de la vertu avant la fin. Mais cinématographique parlant, il n'y a rien à tirer de ce « thriller » sur l'abstinence.
Au niveau du scénario, il n'y a strictement rien ici qui ne suffise : un scénario verbeux, volubile à l'excès, qui se répète, qui trahit sa propre mythologie à tout instant (depuis quand les vampires morts sont-ils « glacés »? Et ne me dites pas que c'était dans le livre, ça ne change rien!) et qui refuse systématiquement les revirements dramatiques. Ce n'est pas interdit, seulement il faut que les scènes soient portées par l'émotion, pas qu'elles la créée de toutes pièces. Et quand le principal noeud dramatique consiste à savoir si oui ou non Bella va faire l'amour avec Edward avant le mariage, on n'a d'autre choix que d'envisager l'aspect moralement discutable d'un film si manipulateur et si connoté.
Cela confirme aussi ce que les deux autres volets laissaient présager : Bella est une petite dévergondée (pour être poli) qui manipule sans vergogne ses deux amoureux. Et un personnage qui vient ainsi d'une autre époque, défendant avec conviction une vision « ancienne » du mariage, c'est le moyen idéal de passer des opinions réactionnaires sur le sexe avant le mariage. Mais ça, c'est un procès d'intention, et on s'est toujours promis de ne pas juger les films sur leur valeur morale. N'empêche...
Depuis le premier film, le récit s'est extirpé du « monde réel » de Forks. Plus question d'aller à l'école (ou alors quelques secondes seulement), ni d'aller chercher une robe pour le bal de graduation avec les copines : le danger est imminent (bien qu'on puisse certainement prendre tout son temps et s'entraîner nonchalamment). Cela permet au film d'atténuer ses immenses failles logiques qui découlent toutes de la notion de « vie secrète des vampires dans la société humaine ». Sage décision. Le réalisateur David Slade filme avec un oeil acéré certaines scènes d'action (et au moins trois demandes en mariage) mais est incapable de faire quoi que ce soit de potable avec les scènes dialoguées, le peu de registre des acteurs y étant certainement pour quelque chose. Ou est-ce alors la banalité des dialogues lieux communs débités?
Dans le film, après avoir embrassé Bella une première fois sans lui demander la permission (méchant garnement!) et avoir reçu un coup de poing au visage pour son impolitesse, Jacob l'embrasse à nouveau et dit : « This should have been our first kiss. ». Un baiser parfait, devant un paysage magnifique (devant son fiancé, mais ça c'est un autre problème), un premier baiser voulu, sensuel, idéal, qui prend un peu la place de la réalité dans le fantasme de ceux et celles qui regrettent ou appréhendent le leur. Ils sont nombreux, semble-t-il. Mais cela n'implique pas le cinéma, cela lui est complètement étranger. Inutile de se battre contre ça.
Aucun chum et aucun mari ne peut rivaliser avec ces deux-là : en plus d'être prétendument beaux (en tout cas ils sont très mauvais acteurs), ils sont à la fois gentils et méchants, forts et délicats, autoritaires et soumis, etc. Ils sont le résumé du fantasme féminin, ils vendent du rêve, pas trop cher en plus. The Twilight Saga: Eclipse a une qualité que de nombreux films n'ont pas : un public. Mais ce qu'il propage est discutable, en plus d'être particulièrement peu inventif. C'est un peu une opportunité gaspillée que d'avoir réussi ce que les enseignants n'arrivent pas à faire, c'est-à-dire capter l'attention des jeunes, et ne rien leur enseigner d'utile. En plus d'être cinématographiquement anodin.