Il n'y a plus rien de sacré, surtout pas la famille. C'est le constat qui ressort de House of Gucci, le nouveau film avilissant de Ridley Scott.
Qu'est-ce qui a mené à l'assassinat de Maurizio Gucci (Adam Driver), l'héritier de la célèbre marque de luxe Gucci, par son ex-femme Patrizia Reggiani (Lady Gaga)? Ce n'est pas nécessairement en regardant ce long métrage qu'on obtiendra des réponses. En se basant sur le livre de Sara Gay Forden qui s'inspirait d'un fait divers véridique, le scénario concocté par Becky Johnston et Roberto Bentivegna est plutôt une métaphore sur la fin d'une époque et celle, décadente, qui allait la remplacer.
Se déroulant entre 1978 et 1995, le récit emprunte les codes du biopic conventionnel, de l'histoire d'amour kitch jusqu'à la gloire vertigineuse, en passant par des trahisons fatales et une conclusion tâchée de sang. C'est la loi du plus fort du libéralisme violent des années 80, symbolisée par un clan familial dont les jeunes loups ont soif d'argent et de pouvoir. Face aux fondations chancelantes (sujet de l'heure, comme en fait foi l'exquise animation Encanto), tout risque de s'écrouler d'un moment à l'autre.
Ce schéma shakespearien n'est pas neuf, ayant été traité avec classe et virtuosité par les Luchino Visconti, Francis Ford Coppola et autres James Gray. Sauf que chez un Ridley Scott en mode The Counselor et All the Money in the World, tout passe par les excès les plus grotesques et absurdes. Sa réalisation vulgaire rappelle les vieux feuilletons du type Dallas et Les feux de l'amour, étant ensevelie sous d'anciens tubes populaires et quelques passages maniérés en noir et blanc, alors que le traitement des thématiques (loyauté, cupidité, classes sociales) est d'une superficialité sans nom. La saga est tellement lourde, décousue et appuyée que le cinéphile se demande constamment s'il faut prendre le tout au sérieux ou comme une satire, une parodie ou un pastiche. Sans doute que l'idée de base était que la mise en scène vide et clinquante soit un reflet de l'époque pathétique où se déroule l'action. Le résultat ne peut que décevoir, ne divertissant que trop rarement. Surtout que l'humour est souvent forcé et inopérant.
Le même mot d'ordre de jouer gros s'applique à l'interprétation. Jared Leto en fait des tonnes en cousin méconnaissable, devenant rapidement insupportable. Jeremy Irons n'est que l'ombre de lui-même, Al Pacino a peu de scènes pour briller et Salma Hayek se demande constamment ce qu'elle fait là. Féline et sensuelle, Lady Gaga est pratiquement la seule à ne pas boire la tasse. Sauf que dès qu'elle ouvre la bouche, la crédibilité tombe à zéro puisque son accent italien sonne comme un accent... russe! Son duo avec Adam Driver laisse également de glace tant ce dernier se veut effacé et distant. Peut-être qu'après tant de rôles détestables (Annette, The Last Duel, Marriage Story, la plus récente trilogie Star Wars), il voulait se faire oublier en ne donnant pas de munitions supplémentaires à quiconque désirait lui faire la peau. Et pourtant...
Le traitement de ces personnages à la psychologie primaire verse à tel point dans le cynisme et le vampirisme qu'il est impossible de susciter la moindre empathie envers eux. À l'image de ce projet que Ridley Scott voulait déjà porter à l'écran il y a une quinzaine d'années (avec comme têtes d'affiche Angelina Jolie et Leonardo DiCaprio) et qui avait même intéressé le trop rare cinéaste Wong Kar-wai. Voilà deux versions que l'on rêve de voir un jour plutôt que ce gâchis cinématographique qui est si raté qu'il en devient presque fascinant.