Il y a eu ces dernières années une vague de films québécois auto-financés qui ont démontré deux choses : 1) certains créateurs ont une volonté suffisante pour produire et réaliser leurs films sans attendre l'appui des institutions (Y'en aura pas de facile, 2 Frogs dans l'Ouest), et 2) la tâche de conseiller à la scénarisation qu'accomplissent dans la foulée de leur évaluation les institutions n'est parfois pas inutile et que certains films en auraient grandement bénéficié (Transit, Sortie 67). C'est donc avec une certaine appréhension qu'on attendait La run, un film auto-financé, écrit et réalisé par Demian Fuica dont le premier film, La dernière incarnation, n'avait pas exactement convaincu.
Heureusement, La run est mieux maîtrisé que bien des exemples cités plus haut. La réalisation serrée a ses moments forts, dont un sublime plan-séquence en guise d'introduction (qui est malheureusement gâché par une voix-off trop « poétique » pour être plausible) et un talent certain pour l'ellipse. Les nombreux effets stylistiques - s'ils ne sont pas tous réussis - ajoutent quelque chose de cinématographique au récit. Le rythme est d'ailleurs efficace et on y ressent une forte tension à certains moments choisis.
Le compliment va aussi aux acteurs, expérimentés et en plein contrôle (Nicolas Canuel a rarement été plus efficace qu'ici) qui offrent des performances puissantes et convaincantes. Pierre-Luc Brillant est parfait dans le rôle de Butch, tandis que Marc Beaupré, un acteur sous-estimé, démontre le naturel de son talent. Jason Roy-Léveillée, qui s'éloigne enfin de son rôle de « favori des jeunes », incarne avec conviction un jeune homme sans histoires qui est poussé dans l'enfer de la drogue par des circonstances... un peu forcées, disons-le.
Car c'est là le principal défaut de La run : un scénario parfois maladroit qui accumule les coïncidences et des dialogues lourds qui servent souvent à « faire passer » de l'information. Le montage tombe d'ailleurs parfois dans ce piège, alors qu'on essaie de « justifier » les gestes dramatiques que posent les personnages (une tentative de suicide, par exemple) par des « inserts » narratifs. Cette technique enlève du réalisme et de l'humanité aux personnages, les plaçant dans un contexte de narration.
Disons que la conclusion laisse peu de place à la réflexion quant aux impératifs de justice du film, elle qui identifie clairement les coupables et qui absout les autres, mais qui a au moins le mérite de ne pas se contenter des retournements habituels. La violence, désintellectualisée en conclusion, devient une échappatoire plutôt qu'une réflexion sur un milieu qu'on devine dangereux et intransigeant. Qu'apprend-on dans La run à ce sujet? Qu'il est possible de se faire des amis et de se faire respecter (et d'arrêter n'importe quand) pourvu qu'on soit efficace et clean. C'est tellement loin des clichés que cela semble peu plausible. Mais qui sait...