Romain Gary est l'un des écrivains les plus importants du 20e siècle et La promesse de l'aube, son grand classique. Si la littérature et le cinéma sont deux arts complètement différents, il est parfois difficile de faire abstraction lorsque le premier empiète sur les plates-bandes du second, surtout pour des écrits aussi monumentaux. Cela tombe bien, le réalisateur Éric Barbier a admis en entrevue que son nouveau film ne s'adressait pas aux amateurs de Romain Gary (ou de son alter ego Emile Ajar). Et il a raison. Les admirateurs du roman culte trouveront le temps long devant les nombreux choix discutables en place. Cela ne veut pas dire pour autant que les néophytes y adhéreront complètement.
Il y a pourtant d'importants et d'inspirants thèmes au coeur de l'ouvrage, que ce soit la nécessité d'espérer et de faire face aux épreuves, aux humiliations. Malgré les pressions de la famille ou de la société, il est toujours possible de faire sa place, de se laisser porter par ses valeurs, en reconnaissant l'apport du passé au présent.
Tout cela est cimenté dans une relation fusionnelle mère-fils. Loin de l'ogre du texte original, Charlotte Gainsbourg campe une matriarche possessive, castratrice, mais ultimement inoffensive. L'actrice a beau être excellente même si elle en fait trop, le personnage sonne parfois faux... mais moins que les maquillages qui l'affublent. Trois comédiens interprètent son fils selon les époques, le plus marquant étant évidemment Pierre Niney à l'âge adulte. Ce qu'on aurait aimé que l'effort soit fait du même bois que sa performance: riche, intense, troublante et mémorable.
Déjà en 1970, le grand cinéaste Jules Dassin (Brute Force, The Naked City) s'était brisé les dents sur ce sujet. Comment pouvait-il en être autrement d'Éric Barbier, qui n'a dans sa filmographie (qui comprend Le dernier diamant et Le serpent) que des réalisations appliquées, mais sans personnalité? Bon sang qu'il essaie, soignant tout ce qui touche à la technique - costumes, décors - en oubliant malheureusement l'essentiel. L'âme y est trop souvent absente, au même titre que l'émotion authentique. Oui, il y a la musique du toujours sublime Max Richter pour tenter de soutirer une larme ou deux. Sauf que cela est tellement manipulateur, tellement évident et mal utilisé, qu'on n'y croit pas. Pas plus d'ailleurs qu'à tous ces rôles secondaires (tenus notamment par Jean-Pierre Darroussin et Didier Bourdon) qui frôlent constamment le cabotinage par manque de direction.
Le scénario de Barbier et de Marie Eynard utilise les ellipses de façon classique, en abusant d'une narration explicative. L'ensemble a beau paraître un peu trop romanesque et académique, l'intérêt subsiste grâce à des raisons qui ne sont pas toujours d'ordre cinématographique (la magnificence de la prose aura généralement le dessus sur le script, peu importe lequel).
Quel renversement spectaculaire du balancier lorsque le jeune héros arrive tardivement à s'affranchir de sa mère et à éroder le cordon qui la tient auprès d'elle! C'est à ce moment que la création ose enfin quelque chose formellement, s'éclatant au sein d'aventures incroyables. Oui, ce schéma picaresque n'est pas nouveau avec ses emprunts/hommages à Little Big Man d'Arthur Penn, mais enfin des idées qui cadrent avec l'imaginaire débridé de Gary, où le réel n'est que mystification.
En tant qu'objet de cinéma, La promesse de l'aube est surtout un prétexte pour voir ses têtes d'affiche se séduire, s'affronter, se fuir et s'aimer. On rajoute à ça quelques thématiques probantes pour obtenir un long métrage d'une qualité certaine, fortement oubliable, mais pas désagréable pour autant. Peut-être aurait-on simplement dû utiliser un autre titre pour ne pas créer autant d'attentes, qui ne seront forcément jamais comblées. Comme cette promesse tenue et trahie en cours de route.