En plus d'un demi-siècle de carrière et avec près de 90 films au compteur, Fabrice Luchini a souvent mis à l'avant-plan sa verve intarissable, son art du cabotinage et son amour des mots. Rien de tout cela dans La petite. Le vétéran comédien se montre plutôt d'une grande vulnérabilité dans un contre-emploi où il incarne un personnage solitaire et endeuillé qui se sent investi d'une mission personnelle.
L'adaptation du roman Le berceau, de Fanny Chesnel, par le réalisateur Guillaume Nicloux (L'enlèvement de Michel Houellebecq, Valley of Love), ne s'avère peut-être pas l'offrande la plus réussie de la filmographie de cette grande figure du cinéma français, mais le montre en revanche dans une posture émouvante qu'il a rarement eu l'occasion d'explorer au grand écran.
Entre désespoir et espoir, La petite s'intéresse au chemin de croix d'un sexagénaire veuf de Bordeaux qui doit composer avec la mort tragique de son fils unique dans un accident aérien. Reclus dans son atelier d'ébénisterie, Joseph avait coupé les liens avec le disparu depuis un moment, non pas en raison de l'homosexualité de celui-ci - qui ne constitue nullement un enjeu dans le film - mais pour le peu d'intérêt qu'il manifestait à son égard. N'empêche, la blessure est vive et profonde. Il ne peut la partager qu'avec sa fille (Maud Wyler) qui souffre de son désengagement paternel.
Ce départ tragique vient avec une étonnante révélation. Dans son désir de fonder une famille avec son compagnon de vie, décédé également dans le crash, le disparu avait sollicité les services d'une mère porteuse en Belgique. Pour Joseph, la surprise est totale et se transforme en une sorte d'épiphanie.
« On ne va quand même pas abandonner ce bébé. Même s'il y a une seule petite cellule de moi dans cet enfant, je ne le lâcherai pas » jure-t-il, se voyant lié par un devoir à l'égard de cette fillette à venir, comme en témoigne le titre.
Sa quête pour retrouver la mère porteuse de Gand (Mara Taquin) ne se fera évidemment pas sans obstacle. Pas plus que de convaincre la farouche jeune femme, mère monoparentale d'une fille de neuf ans, de lui confier le bébé à la naissance, elle qui avait prévu, dans les circonstances, le donner en adoption.
Cette confrontation entre deux êtres que tout oppose emprunte les sentiers souvent piétinés du dénouement prévisible, assorti d'une mise en scène conventionnelle et lisse. Le scénario de Nicloux (coécrit avec Chesnel) s'avère parfois bancal dans sa manière d'amener les choses. Quelques chemins de travers apportent bien peu au récit, telle la séquence de la fête publique, prétexte à montrer que Joseph en pince encore pour le sexe opposé, même s'il s'évertue à repousser les avances d'une dame de son entourage (Anne Consigny).
Par-delà les quelques défauts de cette oeuvre somme toute réconfortante et bienveillante, La petite suscite la réflexion en posant en filigrane des questions existentielles sur la filiation et le souci de laisser une trace de notre passage sur terre. Comme dans la chanson des soeurs Boulay, que restera-t-il de nous après nous?