Il y a vraiment matière à rigoler en regardant La mécanique de l'ombre. Le hic, c'est qu'il s'agit d'un suspense et pas d'une comédie!
Cela ne paraît pas dans la première demi-heure, impressionnante de rigueur. C'est là qu'on fait la connaissance de notre héros (François Cluzet) sans emploi qui accepte de travailler pour un homme énigmatique (Denis Podalydès) qui le mandate de recopier à la machine à écrire des écoutes téléphoniques. On se sent parfois dans les grands thrillers paranoïaques des années 70 - ceux de Pollack et de Pakula - et pas loin d'une variation sur l'illustre The Conversation de Coppola. Une véritable tension psychologique et atmosphérique défile et elle en impose en manipulant tout sur son passage. Surtout qu'elle est plutôt rare dans l'univers français, si ce n'est du maître Melville à une autre époque.
C'était trop beau pour durer et dès qu'un personnage secondaire fait son apparition (en l'occurrence celui incarné par Simon Abkarian), le récit prend le bord et verse dans le grand-guignolesque. Une succession de scènes grotesques défile à l'écran, agissant comme une lame de fond qui répand les incohérences et les invraisemblances. De quoi balayer l'intérêt au passage.
Décrocher du long métrage est alors si facile et c'est là qu'il faut se retenir de le faire. Sinon on n'assistera jamais à la dernière partie, tellement risible et divertissante. Le scénario entre dans un point de non-retour et les éléments de satire - volontaires ou pas - occupent tout l'espace. De quoi hurler de rire devant tous les retournements de situations impossibles et ces fils blancs qui ponctuent l'intrigue. Le coscénariste Yann Gozlan nous avait déjà fait le coup avec son irritant Un homme idéal (qui n'était qu'un simple remake déguisé de l'excellent Plein soleil avec Alain Delon) et il a bien mal conseillé son collègue Thomas Kruithof.
Ce dernier montre pour sa première réalisation un certain talent derrière la caméra. Sa mise en scène est plutôt élégante et il respecte les codes de couleurs - notamment le beige et le marron - qui composent les oeuvres dont il s'inspire. Le cinéaste cherche tellement à éviter le téléfilm qu'il verse toutefois dans les excès, se prenant ici pour un Fincher des pauvres, là, rendant sourd avec sa trame sonore qui vient tout souligner. Sa direction sans nuance d'acteurs talentueux semble aller de pair avec le ton parodique de l'ensemble. En faisant abstraction du toujours juste François Cluzet, il y a Denis Podalydès qui ressemble à nouveau à un clown, Simon Abkarian qui continue d'avoir l'air méchant même sans moustache et Sami Bouajila en flic vertueux. Encore là, cette façon d'étirer le moment où l'on voit cet interprète d'exception et de multiplier les cadrages faussement originaux est impossible à prendre au sérieux.
Si on avait pris moins de cette amourette sur fond de AA (la pauvre Alba Rohrwacher est gaspillée dans une quête préfabriquée de profondeur et d'émotions) et plus de ces crimes politisés et d'espionnage qui gangrènent les hautes sphères du pouvoir, il est difficile de ne pas s'amuser devant La mécanique de l'ombre. C'est tellement gros, appuyé et exagéré qu'on a l'impression de se retrouver devant une véritable farce qui s'ignore. Le plaisir coupable n'en est donc que plus grand.