** Le film est notamment disponible en vidéo sur demande sur Shudder.
À ne pas confondre avec l'horrible The Curse of Llorona, l'excellent La Llorona est ce rare film horrifique qui se retrouve dans les plus prestigieux événements cinématographiques de la planète : la Mostra de Venise, le TIFF, les Golden Globes et peut-être bientôt les Oscars.
Dans le folklore, la Llorona est une femme abandonnée par un homme qui noie ses enfants, passant le reste de son existence à pleurer. Il y a bien une mystérieuse domestique qui erre au sein de ce long métrage et qui tente d'amener une fillette vers l'eau. Mais la réalité est beaucoup plus complexe.
Cette fascinante oeuvre nocturne qui prend souvent la forme du huis clos joue à fond la carte de la subtilité et de la sobriété. Au lieu de miser sur ses éléments éprouvés (maison possédée nappée dans le brouillard, fantômes vengeurs, cauchemars récurrents), le scénario prend son temps pour développer un climat éprouvant à l'ambiance oppressante et à l'atmosphère tendue. Les ténèbres planent sans cesse, créant une tension qui explose à la fin. Le rythme volontairement ankylosé, les longs plans soignés, la musique hypnotisante et même l'interprétation figée permettent au malaise et au mystère de triompher. S'il ne semble rien se passer, c'est qu'au contraire tout se déroule dans la pénombre, au sein de ces silences si importants.
Les amateurs d'épouvante souhaiteraient sans doute que le tout soit poussé encore plus loin, mais c'est mal connaître le réalisateur Jayro Bustamante qui utilise le genre pour parler d'autres choses. Le cinéaste guatémaltèque s'est fait connaître en 2015 avec Ixcanul en dénonçant le sort accordé à la population maya. Il récidivait quelques années plus tard avec Tremblements où il pourfendait l'intolérance et l'homophobie. La Llorona poursuit dans cette mouvance d'accusations, créant une puissante métaphore des plaies qui ne veulent cicatriser et qui reviennent continuellement hanter tant et aussi longtemps que le passé est nié et non accepté.
C'est le cas d'un des protagonistes : un vieux général accusé de génocide et que des membres de sa propre famille commencent à suspecter. Mais très tôt le transfert s'effectue avec son pays, le Guatemala, dont la guerre civile portée contre les communistes a résulté en massacre d'une population indigène au début des années 80. Cet opus en devient ainsi la brillante analogie, utilisant la violence physique et verbale pour parler de ce qui est trop souvent laissé dans l'ombre. Le récent et magnifique Nuestras madres de Cesar Diaz le faisait de façon plus frontale, en empruntant une voie près du documentaire. La Llorona y préfère l'allégorie, usant de symboles qui disent tout, comme cette manifestation d'individus évoquant les âmes damnées.
Le tout est alimenté d'enjeux riches et humains, où le désir de résistance passe par la cohésion du groupe, même une séance mystique! Puisque cette légende a toujours été misogyne et machiste, Bustamante en offre une relecture à saveur féministe, avec une conclusion qui rappelle que les combats futurs seront encore nombreux.
Misant à fond sur le réalisme magique, celui qui transcendait notamment les inoubliables Cria cuervos de Carlos Saura et Le labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro, La Llorona sort largement des conventions et mérite l'attention, seulement dans sa façon d'utiliser le cinéma de genre pour confronter et ouvrir un dialogue avec l'Histoire.