Dommage que cette histoire tragique soit inégale; si la beauté visuelle et lyrique de certaines scènes impressionne, d'autres, qui semblent les lier entre elles, sont moins inspirées. Mais le jeu absolument fascinant de la frustration que joue La lâcheté est une expérience en soi, une manière extrêmement intéressante de vivre le cinéma.
Le cinéma mise le plus souvent sur l'identification du spectateur au personnage, le héros temporaire d'un nouvel univers en huis clos à apprivoiser en très peu de temps. C'est la première étape, le sine qua non. C'est un gage d'émotion, d'appréciation, de réalisme. Les personnages principaux, souvent stéréotypés, sont donc habituellement facilement cernables. Sauf que Conrad Tremblay, le héros de La lâcheté, pratique un métier assez inhabituel - il est fossoyeur - et il a cette manie d'être lâche comme dans trouillard, et il est amoureux d'une prostituée qui planifie un enlèvement. Il n'est donc pas très attachant, pourtant - et ce grâce à l'efficacité des dialogues et de leur déclamation - on a tôt fait de s'intéresser à son destin, inhabituel lui aussi.
Le premier long-métrage de Marc Bisaillon met en scène un personnage antipathique très bien incarné par Denis Trudel, impliqué physiquement et prêt à défendre, dans le sens guerrier du terme, un personnage qui ne fera pas l'unanimité. Le rendre attachant est un exercice extrêmement complexe, d'autant que les scènes familiales qui doivent l'humaniser détonnent et tombent un peu à plat. On l'aime comme il est; pénitent mais trop lâche pour avouer. Trudel l'incarne avec crédibilité et vigueur et forme, avec Hélène Florent, un duo complice et réaliste à la recherche d'une vie meilleure. D'un peu d'amour, quoi. Dans un travail laconique où il peut émouvoir sans parler, Denis Trudel tire son épingle du jeu. Sa performance est la plus grande richesse du film, qui ne sait malheureusement pas toujours l'exploiter entièrement.
La force des images est aussi malheureusement inégale; si certains travellings sont vibrants d'émotions, d'autres moments bien plus classiques manquent tout simplement de saveur; ils ne sont ni bons ni mauvais, simplement moins inspirés d'autant qu'ils s'étirent parfois. Et l'ambiance d'époque pourtant bien installée au début du film souffre de quelques fractures par la suite. La bande-son omniprésente est cependant très efficace. On a l'impression, tout au long du film, d'avoir percé la poésie du réalisateur et de son fantasme tragédien, mais on est régulièrement rammené à une réalité qui n'est pas aussi enivrante.
On ne pourra au moins reprocher à La lâcheté d'être un « premier film », même s'il en est un. Mature, accompli et assumé, le film est une expérience unique, frustrante, qui vaut la peine d'être vécue quitte à détester, simplement par curiosité. Et disons qu'on ne risque pas d'être si déçu que ça.
Dieu sait qu'je n'ai pas le fond méchant
Je ne souhait' jamais la mort des gens
Mais si l'on ne mourait plus
J'crèv'rais de faim sur mon talus
- Georges Brassens
Dommage que cette histoire tragique soit inégale; si la beauté visuelle et lyrique de certaines scènes impressionne, d'autres, qui semblent les lier entre elles, sont moins inspirées. Mais le jeu absolument fascinant de la frustration que joue La lâcheté est une expérience en soi, une manière extrêmement intéressante de vivre le cinéma.
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