2019 débute en force avec la sortie de La grande noirceur, le meilleur film québécois des dernières années.
On n'avait plus eu de nouvelles du cinéaste Maxime Giroux depuis le triomphe de son joli Félix et Meira en 2015. Après plusieurs projets avortés, il rapplique enfin par la grande porte avec son magistral quatrième et meilleur long métrage à ce jour.
La grande noirceur ne ressemble en rien à ce qui se fait au Québec. Ambitieux malgré son budget limité, le récit propose une aventure incroyable à travers l'Amérique. Entre le road-movie et le western, cette odyssée qui se déroule en temps de guerre à une époque indéterminée présente un déserteur québécois et imitateur de Charlie Chaplin (Martin Dubreuil) qui tente de rentrer chez lui. Mais la route est longue dans le désert à suivre les chemins de fer, alors que les rencontres ne s'avèrent pas toujours hospitalières.
Rompant avec la narration classique pour embrasser une sorte de rêve éveillé, l'effort invite le cinéphile à se perdre dans cette allégorie symbolique et métaphorique. Aidé de Simon Beaulieu et Alexandre Laferrière, Giroux offre un riche et angoissant scénario qui est ouvert aux multiples interprétations et niveaux de lecture. En filigrane se dessine le portrait d'une Amérique - passée et actuelle - qui ravage tout sur son passage, avec en voix hors champ celle d'un dictateur qui pourrait très bien être Donald Trump. Mais il est également question du désir de liberté du Québec et de la folie humaine, prête à exploser à chaque moment. Rapidement, on pense aux chefs-d'oeuvre There Will Be Blood et The Master de Paul Thomas Anderson.
Ce plaisir cérébral s'accompagne d'un formidable tour cinématographique qui convie à la même enseigne violence grotesque et démesure absurde. La réalisation répond à une logique interne qui s'exprime d'une fascinante façon, à la fois par la musique rugueuse d'Olivier Alary (qui n'est pas sans rappeler un certain Jonny Greenwood) que la photographie exceptionnelle de Sara Mishara. Les paysages magnifiques sont gorgés d'ombres, permettant à la noirceur ambiante de prendre graduellement le dessus sur la lumière.
Peu importe les quelques moments de grâce et de lyrisme (les imitations de Charlot sur du R.E.M., notamment), c'est la pénombre qui a le dernier mot, s'exprimant au détour d'un rythme volontairement indolent qui laisse la part belle à l'ambiance et à l'atmosphère, dont ne viennent jamais brimer des dialogues quelque peu ampoulés. Rarement maître de sa destinée, notre pauvre héros solitaire incarné solennellement par Martin Dubreuil trouvera une façon de se sortir de son «trou», recevant l'apport d'êtres énigmatiques qui sont campés par les inquiétants Sarah Gadon, Reda Kateb, Romain Duris et Soko qui interprète un chien!
Séduisant et terrifiant à la fois, envoûtant jusqu'à la déstabilisation, La grande noirceur offre un condensé sans complexe de cinéma libre où la prise de risques, totale, lui permet de s'affranchir et de sortir du lot en offrant des images qui ne s'oublieront pas de sitôt.