Nous venons à peine de franchir la mi-janvier que déjà nous pouvons affirmer que La grande bellezza est un des meilleurs films de l'année 2014. Le long métrage franco-italien, en nomination aux Oscars dans la catégorie meilleur film en langue étrangère, est magnifique, tant dans ses images sublimes, contrôlées, que dans ses textes savoureux. La grande bellezza est une oeuvre contemplative, une oeuvre qui arrive à transporter tout public prêt à consentir à sa folie et ses nombreux excès.
L'oeuvre taciturne est portée par une poésie singulière. Celle d'un homme italien riche qui n'a d'autres ambitions que celle d'être plus puissant encore. « Je ne voulais pas simplement assister aux fêtes, je voulais avoir le pouvoir de les gâcher », dit-il (une réplique magnifique et révélatrice au sein d'un scénario bien bâti). À l'aube de ses 65 ans, il se questionne sur la signification et la valeur d'une vie comme la sienne, tout en maugréant contre la capitale italienne dans laquelle il règne en roi depuis si longtemps. Le film parle de luxure, de vieillesse, de démesure et d'amour, d'une manière à la fois singulière et rassembleuse. Même si les situations sont bien spécifiques, fragmentées (son attachement pour une steapteaseuse malade ou sa rencontre avec une vieille religieuse dévouée corps et âme à son prochain) et loin de notre réalité, on finit par se sentir interpelé par le récit, invariablement captivé par sa grâce inhérente.
Certains pourront juger de son audace trop grande qui cause certaines distorsions dans l'intelligibilité de son récit global, mais le film de Paolo Sorrentino n'en est pas un que l'on regarde assis sur le bout de notre chaise, impatient de connaître le dénouement. C'est davantage un élixir pour l'âme (malgré son humeur noire), une oeuvre d'art que l'on accueille, le dos bien appuyé sur son siège, en laissant son esprit rationnel à la maison et en permettant à ses propensions libertines et dénonciatrices refoulées de s'éveiller.
Les gros plans centrés sur le visage de certains des personnages apportent une humanité et une personnalité à un film davantage intéressé par la mondanité et la mélancolie des riches qu'à la philanthropie. Ce n'est pas une mince tâche de créer un univers séduisant, malgré sa profonde morosité, comme celui qu'a imaginé Sorrentino. Il y a des films magiques, qui ont la faculté incroyable de vous dépasser dès les premiers instants; La grande bellezza y arrive avec panache.
Pour porter ce genre de « message », il fallait au film un acteur d'un talent aussi grand que la grandeur de son scénario. Toni Servillo est hallucinant à l'écran. Il conduit cette histoire d'une main de maître, avec suffisamment de condescendance, de charisme et d'humanité pour rallier son public. Les personnages secondaires, menés aussi par des comédiens talentueux, sont tous d'une arrogance délectable et d'un snobisme en surabondance qu'on se surprend à apprécier.
Pour les amoureux du septième art et les autres épicuriens, La grande bellezza est un incontournable du paysage cinématographique moderne. J'irai même jusqu'à chuchoter le mot chef d'oeuvre (comme il faut laisser le temps à un film de mûrir avant qu'on puisse lui affubler ce titre en toute conscience, je ne le prononce qu'à demi-ton pour le moment).